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Pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village

mercredi 3 décembre 2008

Infrastructures et Bâtiments Publics

C’est donc l’Etat qui prend en charge la fondation du village et qui, simultanément, lance les expropriations, établit la liste des nouveaux colons et procède aux travaux d’infrastructure.
L’avant projet, au début de 1895, subit des modifications pour tenir compte de l’avis de l’inspecteur de la colonisation M.Vonnoy : réduction de moitié de la place jugée trop vaste, élargissement des rues de manière à pouvoir planter des arbres sur chaque trottoir, agrandissement de l’école.
Avis des autorités civile et militaire se rejoignant, la gendarmerie sera conçue comme ‘’un réduit défensif permettant aux gendarmes de se défendre en cas de besoin et pouvant même servir pendant quelques heures de refuge aux habitants du village en cas d’événement graves (L. du Préfet d’Oran au G.G.A. ; 7.6.1895).
D’où cet aspect extérieur de fortin qu’avait la gendarmerie avec ses murs aveugles percés de créneaux et ses deux bastionnés d’angle, opposés ‘’de manière à prendre en enfilade les quatre directions’’.
Evalués à 112 000 F, les travaux sont mis en adjudication à l’Hôtel de Ville d’Oran le 8 novembre 1895.
Un certain Lorenzo l’emporte contre douze autres soumissionnaires avec un rabais de 26 c le franc !
La gendarmerie mise à prix 40 000 F sera officiellement construite par un certain Martin, en réalité, semble t-il par Pierre Fournier.
Le rapport de l’inspecteur de la colonisation pour le premier semestre 1896 indique que les travaux vont bon train sauf pour les plantations qui ‘’auraient pu être faites au mois de février et on aurait gagné ainsi une année ‘’ et la gendarmerie ‘’ qui aurait dû être terminée en juin ‘’, et ne le sera pas avant la fin de l’année.
Cependant, le 3 octobre 1898 a lieu la remise des ‘’ travaux d’installation du centre de Turenne ‘’ par ‘’Platel conducteur des Ponts et Chaussées’’ à ‘’ Laffargue Administrateur adjoint de la Commune mixte de Seddou ‘’, à savoir :
1. les rues, boulevards et la place publique du village…
2. les caniveaux établis dans toutes les rues…
3. un bassin abri construit sur la source d’Aîn Sabra
4. la conduite d’amenée des eaux de l’Aîn Sabra
5. les bassins réservoirs couverts…
6. les conduites de distribution dans le village…
7. un lavoir et un abreuvoir à l’entrée du village du côté de Tlemcen, à droite et à gauche de la route nationale…
8. un bâtiment comprenant une salle de classe, un logement d’instituteur, une pièce servant de Mairie provisoire…

Les travaux inventoriés ici intéressent le rectangle délimité par les quartiers I.L.T.S ou dans les années trente, par les maisons Auguste, Bedoin, Victor, Bonnet, Etienne, Marcovitch, Maison Forestière.
Un boulevard de 20 m (plate forme de 10 m, deux contre allées de 5 m) l’entourent, un autre le traverse (route nationale) ; les autres rues ont 15 m (chaussée empierrée de 7 m, deux trottoirs de 4 m).
Le lavoir et l’abreuvoir occupent les futurs emplacements de la poste et de la salle des fêtes.
Le bassin abri de la source est décrit tel que nous l’avons connu avec son gros dos de tortue sur lequel nous grimpions.
Une conduite de 1527 m amène l’eau aux deux réservoirs aux regards fermés chacun d’une tôle que nous contournions ou au contraire piétinions en les faisant résonner, sur le chemin de traverse de la gare.
La distribution se limite pour l’instant à deux conduites, ‘’boulevard central’’ (route nationale) et ‘’ rue de l’école ‘’, alimentant le lavoir, l’abreuvoir, quatre bornes fontaines (une à l’école –il était interdit de sucer le robinet, tout au moins de se faire prendre-, une sur la place, deux sur le boulevard central) et munies de ‘’ 7 boites d’arrosage ‘’ et de ‘’ tubulures d’attentes aux branchements de rues ‘’.
Apparemment, dans ce premier temps, pas de branchements individuels : les premiers colons iront prendre l’eau à la borne.
La salle de classe serait vaste (10 m sur 6.50 m si on n’y avait ‘’ aménagé provisoirement au moyen d’une cloison en briques sur champ un espace de 6.50 m sur 3 m pour constituer le cabinet du Maire’’. En compensation, le plafond est généreux : 4.10 m. Il fera frais en été (et froid en hiver).
Le ‘’ water-closet au fond du couloir ‘’ conseillé par l’inspecteur de la colonisation est devenu ‘’ latrines adossées à la façade postérieur du bâtiment’’. Une barrière à claire-voie sépare la cour jardin de l’instituteur de celle des élèves.
Qui a planté le néflier qui nous donnait son ombre par-dessus le muret substitué de notre temps à la barrière ?
Voilà donc le village tracé, alimenté en eau, pourvu d’une gendarmerie, d’une école ; prêt à recevoir ses habitants.
Certains sont déjà là d’ailleurs, sinon à demeure, au moins faisant le va et vient entre leur village d’origine ou la ville et Turenne, en attendant que leur maison soit construite ou que l’école soit ouverte (Melle Vargas ne sera nommée qu’en octobre 1899).
La preuve qu’ils sont là est que des déprédations sont commises au lavoir (conduite d’évacuation obstruée ‘’ évidemment par malveillance ‘’ par ‘’une boite de fromage de Mt Dore - 2.7.1898 - et que l’abreuvoir est jugé mal placé ‘’hors du village trop exposé à recevoir des bêtes de passage ‘’ porteuses du bacille de la morve (4.1.1889).

Chapitre VI : Les Concessionnaires

Lorsqu’on se plonge dans les archives et qu’on lit les rapports administratifs, les lettres personnelles, les pétitions, les doléances, sans négliger aucun texte, sans privilégier aucun point de vue, on voit se dissoudre ses préjugés, diverger ses sympathies, s’inquiéter son sens de la justice et son souci de vérité.
Quitte à heurter la sensibilité de beaucoup de lecteurs l’honnêteté m’oblige à énoncer ici, en les résumant brutalement, plusieurs constations qu’imposent les documents, après quoi je pourrai reprendre l’accent sur le travail et les mérites de ceux qui l’ont fait.

1. Le village est une création totale des français mais le territoire dont il sera le centre n’est pas désert en 1894 : il faudra en expulser ou y interdire de pacage plusieurs centaines d’habitants, arabes évidemment (berbères arabisés plutôt), la plupart semi-nomades, quelques uns sédentaires.
2. Si quelques propriétaires, individuels ou indivis, ont cédé leur bien à l’amiable, la plupart ont dû se soumettre de mauvais gré à un arrêté d’expropriation après de stériles tractations et de vaines pétitions.
3. Si tous les propriétaires ont étés régulièrement et assez rapidement indemnisés (1 du 18 août 1895 au 11 mai 1896, quelques retardataires le 20 août), ils l’ont été à un prix évalué et fixé par l’Administration et près de la moitié ses sommes a été versée aux créanciers hypothécaires, pour l’essentiel la Banque d’Algérie.
4. Apparemment tout s’est bien passé dans le cadre légal et sur le plan juridique, sans brutalités. En tout cas je n’ai pas trouvé de documents faisant état d’une intervention de la force publique.
5. Tout le territoire exproprié n’était pas en friche. Si 88 % de la surface présentait le paysage que nous avons connu soit au Bivouac et autour de la Source Folle (palmiers nains, asperges sauvages, scilles et asphodèles), soit au cimetière se Sidi Ghalem (lentisques, broussailles, palmiers nains), soit au Bosquet du Marabout vers Marnia (chênes, caroubier, lentisques), en revanche 12 % était défrichés et cultivés dont le quart en jardins et vergers irrigués
6. Partagé en concessions, le territoire ainsi libéré est attribué exclusivement à des français de souche : pas un nom espagnol ou italien (la loi de 1889 dite ‘’ de naturalisation automatique ‘’ n’a pas encore fait, dans son domaine, son effet), pas un nom juif (le décret Crémieux prescrivant la naturalisation collective des juifs indigènes date pourtant de 1870) parmi les 28 concessionnaires de 1897 ni les 16 de 1904. Nous voyons, dans les archives, se présenter, se dédire, s’installer, persévérer ou renoncer, prospérer ou péricliter ces colons français de la première heure, nous apercevons à peine, incidemment, les autres habitants, espagnols ou juifs, qui bientôt cependant contribuent à la croissance et à la prospérité du village. Quant aux arabes, ils jouent le rôle de repoussoirs.

Cela précisé, voyons l’installation des premiers colons. Qu’ils soient privilégiés n’ôte pas grand-chose à leurs difficultés, rien à leur mérite.
L’ambition de l’Administration était double :
1. créer au centre d’un vaste territoire resté presque vierge de toute action colonisatrice un noyau européen vigoureux et rayonnant
2. instiller dans la population européenne un apport nouveau d’immigration métropolitaine. Vers ce second but elle se heurte dès l’abord à deux obstacles :
2.1 Les candidatures sérieuses à l’immigration sont moins nombreuses qu’on ne l’avait espéré
2.2 Les notables politiques de Tlemcen, sous la pression de leurs clientèles électorale, cherchent à placer des colons ou enfants de colons en mal de terre des villages environnants. Sans entrer dans le détail des tractations, nous constatons, en 1896, que sur 28 concessionnaires retenus, 10 seulement sont des ‘’immigrés’’, 18 sont des ‘’algériens ‘’ (ce sont les termes utilisés). L’un de ces dix refuse la concession obtenue, son successeur de même et la concession échoit à un algérien d’Hennaya, François BLANCHON. Une autre, d’abord acceptée par Constantin GIN mais non occupée dans les délais est attribuée) à Delphin FRERET d’Hennaya également. Une troisième est acceptée par CHRISTOPHE Joseph, de la Drôme qui obtient de s’en dessaisir au profit de son neveu, Sébastien CARDONE, cafetier à Aîn Khial.
Voilà donc le nombre d’immigrant réduit à sept, le quart du contingent !


Les algériens, à l’exception de CARDONE, viennent tous du pays de Tlemcen : de Tlemcen même (François DESCAUNET , Edouard MORETY), de Bréa (Jean et Louis BARTHE, Jean Pierre LAMASSOURRE), de Mansourah (Joseph YZOARD, Jean BEDOIN), de Négrier (Bernard et Charles COUVERT, Pierre DUCLA, Louis LOUET, Jean ROUMAT), de Safsaf (Jean BAICHAIRE, Jean ROUSSILHES), d’Hennaya (Victor CAYLA, BLANCHON, FRERET, Célestin TERRAL, Edouard VENEL) et de Nemours (Louis DEROBLES).
Il est bon de noter que sur ces 21 algériens, 9 sont nés en France, mais qu’ils séjournent en Algérie depuis 1859 pour le plus ancien Lamassourre arrivé à 8 ans, à 1887 pour le plus récent Descaunet arrivé à 24 ans:

LAMASSOURRE Basses Pyrénées
DESCAUNET Haute Pyrénées
CAYLA Dordogne
BAICHERE Aude
LOUET Tarn
ROUSSILHES Aveyron
TERRAL Aveyron
CARDONE Pyrénées Orientales
MORETY Basses Alpes

Quant aux immigrants, ils viennent :

DEBROAS Florentin Ardèche
CAYLA Pierre Lot

Et les autres de la Drôme :
BOREL Joachim
JOANNIN Cyprien
JOUBERT Auguste Lincoln
VINCENT Paul et Emile
Ces quatre derniers du même village de Chatillon-en Diois


Tous ces concessionnaires s’affirment agriculteurs ou capables de l’être. Mais plusieurs ne le sont certainement pas :
MORETY et CARDONE sont cafetiers
BLANCHON et DEROBLES maçons
CAYLA Victor terrassier
DESCAUNET charron forgeron
JOUBERT mineur, mais comme souvent en France il cultive la terre de son père.
Tous sont mariés, quelques uns sans enfants, d’autres avec six (Jean BEDOIN, Bernard COUVERT, Célestin TERRAL), sept (Jean Pierre LAMASSOURRE) ou huit (Louis BARTHE).
La moyenne est trois par foyer.
L’âge moyen du chef de famille est 42 ans, les plus jeunes étant JOUBERT (26 ans^Charles COUVERT (30 ans) et VENEL (31 ans), les plus âgés JOANNIN et BOREL (58 ans) et TERRAL (54 ans).

Chapitre VII : Les Mises en Possession

L’expérience déjà cinquantenaire de la colonisation officielle avait montré que les concessions familiales ne devenaient viables qu’autour de 35 ha.
Turenne profite de cette expérience : les 28 concessions totalisent 972 ka 74 a 50 ca, soit 34 ha 74 a d’étendue moyenne, les surfaces allant de 31 ha 10 a 80 ca pour la plus petite à 38 ha 26 a 60 ca pour la plus vaste.
Sauf à tracer au cordeau des rectangles de 700 m sur 500 m, il n’était certes pas possible ni d’ailleurs souhaitable de chercher à égaliser en surface les concessions : les terres ne sont pas d’égale qualité d’un coin à l’autre et le géomètre en à tenu compte.
Chaque parcelle avait été évaluée à son juste prix pour les expropriations.
On a élaboré 28 paquets de parcelles de valeur a priori équivalente en prenant en compte les facteurs alors considérés : terre fertile ou non, défrichée ou non, à dérocher ou non, irrigable ou non, en culture ou en pacage.
Chaque concession réunit sur un même modèle cinq ou six parcelles de natures définies :
- un terrain à bâtir de 8 a au village,
- un lot dit de jardin, irrigué de 20 a environ, entre le village et la source,
- un lot dit de verger, irrigable, de 30 a environ, dans la même zone
- une terre plus ou moins défrichée de 1 à 2 a à proximité du village,
- une ou deux terres à peine ou nullement défrichées d’une trentaine d’hectares autour de ce premier noyau.
Cette distribution apparaît nettement sur le plan du village.
Pour éviter favoritisme et contestation les 28 lots sont tirés au sort le 9 août 1897 à la sous-préfecture de Tlemcen.
Le chapeau contient les numéros des lots urbains de 8 a, chaque concession étant liée à l’un deux. Rappelons qu’en prévision d’agrandissements futurs 80 lots à bâtir ont été dessinés, 28 seulement sont tirés au sort, ceux des quatre quartiers (sur dix) situés au nord de la place de l’école. Les autres sont tenus en réserve ainsi que les quatre lots du centre, destinés à des artisans ou commerçants.




Voici les lots attribués et les noms de leurs attributaires :

7 : BERLIN (rayé, surchargé BLANCHON)
8 : DEBROAS
9 : BARTHE Jean
10 : IZOARD
11 : DUCLA
12 : PELLEGRIN
13 : CROZET (rayé surchargé BARTHE Louis)
15 : BEDOIN
16 : GIN
17 : LOUET
19 : BRETTE (rayé, surchargé MALHOUTIER)
20 : Vve COUVERT Bernard
21 : VéNEL
22 : CHRISTOPHE
24 : ROUSSILHèS
27 : DESCAUNET
28 : CHéRON
29 : TERRAL
30 : ROUMAT
32 : BAICHèRE
33 : BARTHE Louis (rayé, surchargé VINCENT Paul Emile)
34 : LAMASSOURRE
36 : MAS
37 : COUVERT Charles
38 : BORREL
39 : CAYLA Victor
40 : VINCENT Emile
42 : JOANIN

Cette liste ne sera pas définitive. Aux corrections déjà apportées s’en ajouteront d’ultérieures :
MORETY remplacera PELLEGRIN N° 12
FRéRET remplacera GIN N° 16
REYSSET puis CAYLA succèdent à MALHOUTIER N° 19
CARDONE se substitue à CHRISTOPHE N° 22
JOUBERT à MAS N° 36
La Vve de ROUSSILHES Jean obtient d’échanger son lot contre le N° 28 de CHéRON, défaillant
DEROBLèS obtient à sa place le N° 24 d’abord cédé à BEZAT qui renonce…
Si je cite tous ces noms, certains restés inconnus, c’est pour montrer la versatilité de nombreux prétendants qui, après avoir de loin rêvé à la fortune, sont venus sur place et ont trouvé le soleil trop chaud, la terre trop rocailleuse, les caroubier trop solides, bref les cailles pas assez rôties.
Aussitôt effectué le tirage au sort suit la formalité de la mise en possession. Le géomètre donne rendez-vous aux concessionnaires, à partir de septembre 1897, pour reconnaître les lieux. Les uns après les autres s’y rendent.


J’imagine ma jeune grand-mère Marie montant de Négrier avec son beau frère Charles COUVERT (ils ont rendez vous le 8 et le 9 novembre) en carriole dans la nuit pour prendre au petit jour à Tlemcen la diligence de Marnia.
La route empierrée est étroite, très sinueuse, bien dégagée à la montée et à la descente du col du juif, inquiétante dans les gorges de l’oued zitoun, c’est un aller-retour de deux jours avec souper et coucher dans la grande baraque que Clovis FOURNIER, ancien combattant militaire de 1870, à installée dés 1895 à l’entrée du village, face à l’abreuvoir.
Entre la baraque et le caniveau trois jeunes platanes d’un an, dépouillés par l’automne, sont surpris d’avoir échappé à leur premier été. on inspecte la concession de Marie lundi après-midi, celle de Charles mardi matin, conduits par le géomètre sur chacune des six parcelles, d’une borne à l’autre. C’est une bonne trotte qui mène du centre du village – empierrées, bordées de caniveaux, les rues étalent leur quadrillage plat, comme un plan dessiné sur le sol. Seuls se dressent au-dessus des doums, des guendouls et autres broussailles le fortin de la gendarmerie, la baraque de Fournier et le chantier de l’école.
Se voulant accueillants à l’entrée, remplis d’eau fraîche sans arrêt renouvelée, le lavoir et l’abreuvoir ont leurs abords souillés par les gens de passage – du centre du village donc, vers la source puis les confins du territoire, jusqu’à l’escarpement de travertin qui tombe sur Barbata au sud, jusqu’au bas fond de Chabet bent Allah (le ravin de la Fille de Dieu)
Qu’embaume la menthe sauvage au nord. Car Marie veut tout voir avant d’apposer sur le procès verbal la mention ‘’ qui accepte sa concession ‘’ suivie de sa signature.
Le procès verbal, sur formulaire imprimé, indique de la main du géomètre la teneur, la nature et l’état actuel de chaque parcelle. Par exemple : ‘’ lot n° 61 dit de jardin de 0.20.30 entièrement défriché ‘’ ou ‘ lot n° 196 de culture d’une contenance de 27.06.08, 1/6 défriché 5/6 en palmiers et broussailles. Une masure arabe, des amandiers, des figuiers et des oliviers existent sur ce lot ‘’.
Le procès verbal ne dit pas si un Arabe observait de loin les silhouettes arrêtées devant la masure, ni si Marie s’interrogeait sur la vie qui avait animé ce gourbi en ruines.
Ce qu’elle se dit plutôt c’est qu’il va falloir travailler dure et que la prospérité sera longue à venir.

Chapitre VIII : Premiers Occupants

Donc du 19 septembre 1897 au 30 avril 1898, 22 des 28 premiers concessionnaires ont visité et accepté leur terre.
Les six autres le feront dans les trois mois, ou les années, qui suivent au fur et à mesure du remplacement des défaillants.
L’occupation effective du village sera lente et laborieuse tant par les ‘’ immigrants ‘’ dont seul le chef de famille a passé la mer pour la prise de possession et hésite ensuite à faire venir femme et enfants tant que la maison n’est pas construite, que l’école n’est pas ouverte que par les ‘’ algériens ‘’ qui, pour les mêmes raisons auxquelles s’ajoutent pour certains l’entretien de ce qu’ils possèdent déjà, font le va et vient entre leur village d’origine et le nouveau.
Tous, ou presque tous, recevront à un moment ou l’autre au moins une mise ne demeure de s’installer sur son attribution d’une manière stable et définitive.
Prenons par exemple le cas de Marie COUVERT.
En mai 1898 (elle a 6 enfants de un à quinze ans dont 3 vont à l’école) elle écrit au Préfet de Négrier, pour obtenir un titre provisoire de propriété qui lui permettra d’emprunter : ‘’j’ai semé huit hectares d’orge mais je n’ai pu construire faute de ressource‘’.
En juin, Louise, obtenant le certificat d’études, restent deux enfants d’âge scolaire :
On habite donc toujours à Négrier en octobre même si Marie, laissant les petits à sa belle mère, va avec ses aînés faire les semailles (entre les palmiers nains) à Turenne.
Où couchent-ils alors ? À l’auberge Fournier sûrement trop chère ? Dans une pièce de la maison Descaunet (‘’ j’ai le premier bâti une maison dans ce village, cette maison a servi de refuge aux premiers arrivés ‘’ déclare t-il plus tard dans une lettre au préfet) ? Où entre les murs de la maison en construction, à l’abri d’une bâche ? Nous aurions dû être plus curieux et interroger nos anciens quand il était temps même s’ils préféraient laisser s’effacer des souvenirs trop pénibles. Ce va et vient ne convient pad à l’administration : une mise ne demeure est notifiée le 25 novembre 1898 par le commissaire de police de Tlemcen à Marie qui s’exécute et s’installe dans les jours qui suivent, définitivement, à Turenne. Albert et Charles sont-ils restés à l’école à Négrier chez la grand-mère ou les à-t-on laissés en jachère jusqu’à la nomination de la première institutrice, Melle Vargas, en octobre 1899 ?
Ainsi, le 7 décembre 1899, se défiant de rapports trop indulgents de l’Administrateur de Sebdou, le Sous Préfet de Tlemcen se rend sur place et constate ce qui suit :
- Barthe Jean, lot N° 9 : vient de temps en temps, ne réside pas, à loué sa maison au chef cantonnier Orgelier.
- Barthe Louis, lot N° 13 : n’a jamais installé sa famille, n’y est lui-même que quelquefois.
- Bedoin Jean, lot N° 15 : ne réside pas. Conseiller municipal à Tlemcen, habite Mansoura avec sa famille.
- Descaunet François, lot N° 27 : vient de temps en temps, ne réside pas, a loué sa maison à la famille Clément. Habite Tlemcen ou il est charron.
- Terral Célestin, lot N° 29 : ne réside pas, y a installé son fils aîné et un autre enfant. Habite Hennaya avec 4 enfants.
- Lamassourre Jean Pierre, lot N° 34 : habite Bréa avec sa femme et 5 enfants. Vient de temps en temps sur la concession.
- Couvert Charles, lot N° 17 : ne réside pas. Habite Négrier avec sa femme et 3 enfants.
- Borel Joachin, lot N° 38, immigrant, jamais venu sur sa concession. Son fils Frédéric réside seul.
- Morety Edouard, lot N° 12 : tient un café à Tlemcen, se rend de temps en temps sur sa concession, ne réside pas.
- Bézal Pierre, lot N° 24 : ne réside pas en dépit d’une mise en demeure. Prononcer sa déchéance s’il ne s’installe pas avec sa famille avant le 14 janvier.
- Reysset Vincent, lot N° 19 : immigrant, ne s’est même pas fait mettre en possession, mais concession seulement attribuée le 20 septembre 1899.

…..sur 28 concessionnaires, 17 seulement sont installés à Turenne alors que le peuplement est commencé depuis 2 ans.

Ces 17 sont : François BLANCHON, Florentin DEBROAS, Joseph IZOARD, Pierre DUCLA, Delphin FRERET, Louis LOUET, Marie Vve Bernard COUVERT, Edouard VENEL, Sébastien CARDONNE, Marie Vve ROUSSILHES, Jacques ROUMAT, Gabriel BAICHERE, Paul VINCENT, Auguste JOUBERT, Victor CAYLA, Emile VINCENT, Cyprien JOANIN, accompagnés, 13 d’ente eux de leur femme, d’environ 35 enfants, de quelques frères ou sœurs, de quelques beaux-parents et même de deux domestiques amenés de France.
Pas content le Sous Préfet ! Dépossédés, BEZAL et REYSSET seront remplacés par Louis DEROBLES en 1900 et Prosper CAYLA e 1906.
Les autres obtempèrent plus ou moins rapidement (nouvelles mises en demeure de Jean et Louis BARTHE, de BEDOIN, MORETY, DESCAUNET en 1901 ou 1902) mais tous finalement obtiendront leur titre définitif de propriété, soumis à cinq ans de résidence, entre 1902 et 1905, certains récalcitrants plus tôt que les plus disciplinés !
Quelles pensées trottaient pendant ce temps dans les têtes des témoins avoisinants, arabes expropriés et rejetés au-delà du lotissement, immigrants espagnols campant autour des charbonnières ou prêts à louer leurs bras pour aider à l’arrachage des palmiers nains et des caroubiers ?

Chapitre IX : La deuxième Vague

Les 28 premiers colons n’ont pas encore fini de s’installer que l’Administration prépare l’arrivée du complément jugé indispensable à la viabilité du village.
« Ce village, en raison de sa situation sur la route de Tlemcen à Lalla-Maghnia, doit être fortement occupé. Au point de vue stratégique comme dans l’intérêt du développement de la colonisation, le centre de Turenne a besoins en effet de recevoir la plus grande importance « écrit le Gouverneur Général au Préfet d’Oran le 11 octobre 1899.
Le village lui-même, avec ses 80 lots à bâtir, son eau arrivant aux fontaines, son garde champêtre (Victor CAYLA) nommé en juillet 98, son école enfin pourvue d’une institutrice (Melle VARGAS) le 4 octobre 99, son auberge FOURNIER reconstruite en dur et sa quinzaine de familles implantées à demeure est prêt a accueillir les nouveaux venus.
Reste à rendre disponibles, pour les leurs octroyer, les terres dispersées sur le secteur encore aux mains de leurs propriétaires traditionnels. L’Administration est soucieuse de les ménager. Elle n’a pas été indifférente à la pétition déposée le 1er avril 99 par 41 chefs de famille des Ahl-Bel-Ghafer pour s’opposer à de nouvelles dépossessions et cherche à désarmer cette opposition. Elle aimerait les violer avec leurs consentements et regrette que ses fonctionnaires, sur le terrain, ne soient pas plus adroits. En réalité, il y à alternance de succès et de revers, acceptation par les intéressés des conditions de cession proposées suivie, au moment de signer, de volte-face. Ce qu’exprime ce rapport de l’Administrateur de la commune mixte de Sebdou, le 11 février 1901, faisant état de « propriétaires revenus sur les promesses de vente ou d’échanges consenties il y à quelques mois…. (sous) la pression exercée par la famille BOURICHE qui a toujours vu avec peine la colonisation s’implanter à Turenne ‘’.
Les moyens de pression de l’Administration l’emportent cependant sur ceux des BOURICHE et le 29 janvier 1904 est affiché sur les murs de la ville et du village, diffusé par ‘’le courrier de Tlemcen «’’, l’arrêté ‘’ d’expropriation pour cause d’utilité publique avec prise de possession d’urgence des terrains nécessaires pour l’agrandissement du centre de Turenne, commune mixte de Sebdou’’. Sont touchés :
- au Douar Kréan : 5 parcelles, 15 propriétaires nommés, plus les consorts soit 21ha 19a 10ca,
- au Douar Ahl Ghafer : 54 parcelles (dont 21 à la Société Domaniale Algérienne), 52 propriétaires soit 302ha 72a 64ca,
- au Douar Tameksalet : 1 parcelle de 6ha environ à un propriétaire arabe, le reste à la S.D.A, soit 115ha 96a 80ca,
- au total 444ha 88a 54ca. Les terrains sont qualifiés ‘’ terre de culture ‘’ (surtout aux Ahl Bel Ghafer), ‘’broussailles et rochers ‘’ (surtout à Tameksalet), ‘’jardin de figuiers’’ ou ‘’ d’oliviers’’. Les 5/6 des terres sont cédées contre indemnisation, 1/6 par échange.


Les terrains ainsi libérés, on peut appeler les nouveaux occupants. Compte tenu de réserves foncières antérieures ce sont finalement 581ha 51a 21ca qui sont distribués aux 16 nouvelles familles soit 36ha 34a par concession, 1ha et demi de plus qu’en 1898.
La consistance de chacune est analogue à celle de 1898 : un lot à bâtir, un lot de jardin, plusieurs lots de culture répartis de manière à équilibrer les valeurs.
On remarque cependant moins d’homogénéité : ainsi le n° 1 (COLOMBIES) n’a qu’une parcelle de culture de 37ha d’un seul tenant, tandis que le n° 4 (André VASSEROT) en compte huit de moins d’un ha à moins de huit.
La liste originelle des 16 concessionnaires agréés établies en 1905 sera surchargée, dans les six années qui suivent, par autant de noms de remplaçants. Cette liste comptait 10 immigrés et 6 algériens. Huit des immigrés, deux des algériens prennent possession de leur terre dès la fin de 1905 :
- Joseph AILLOUD du Rhône – lot N° 48
- Paul AUROUSSEAU de Paris – lot N° 14
- Pierre et Paul BONNET - lot N° 55
- Daniel GAUDISSARD des Hautes Alpes – lot N° 47
- Prosper CAYLA du Lot – lot N° 23
- Jules MARCOT d’Aîn Sidi Charif près d’Oran – lot N° 5
- Louis TERRAL d’Hennaya mais né dans l’Aveyron – lot N° 56
- André BONNET dans le courant de 1906 – lot N° 46
- Pierre VASSEROT des Hautes Alpes - lot N° 57
- André VASSEROT des Hautes Alpes - lot N° 4

Le temps de prononcer la déchéance des défaillants et s’installent trois remplaçants :
- François ROSTAING d’Aïn Fezza mais né en Savoie en septembre 1906 – lot N° 6
- Joseph SCHWALL de Misserghin en juillet 1907 – lot N° 58
- Charles MARTIN de Savoie, en août 1908.

D’autres remplaçants se dédisant, ce sont de nouveaux désignés qui suivent :
- Sylvain COLOMBIES de Safsaf, mais né dans l’Aveyron en 1909 - lot N° 1
- Désiré MAURIN e juin 1910 tous deux en troisième position, voire en 4éme comme Paul DUMONT DE LA Haute Savoie en mars 1910, sur le lot N° 61
- Quand au lot N° 23 que Prosper CAYLA a pu échanger dès 1905 contre un lot de la première attribution, c’est un 5éme candidat, Louis SALESSE d’Oran, qui en héritera en 1911.
Heureusement, les premiers installés n’ont pas attendu l’arrivée du dernier pour se mettre au travail.


Chapitre X : Le Peuplement Parallèle avant 1914

A la veille de la guerre de1914 Turenne compte environ 700 habitants (438 en 1906, 622 en 1911). Le noyau de colons implantés par l’Etat doit représenter un peu moins de la moitié de ce nombre. En effet les 44 familles installées de 1898 à 1910 comptaient officiellement 236 personnes : 117 adultes, 139 enfants ou adolescents.
Depuis, quelques familles ont quitté le village (BAICHERE, YZOARD, PROSPER CAYLA, AUROUSSEAU, DEROBLES, GAUDISSARD, MARTIN), d’autres sont restées partagées entre Tlemcen ou les villages voisins et Turenne (BARTHE, BEDOIN, DESCAUNET, LAMASSOURE ; MORETY, TERRAL) et il est difficile de savoir combien de membres de ces familles sont comptés d’un côté ou de l’autre. Enfin, Oujda occupée depuis 1907 attire au moins temporairement tout ou partie de quelques familles (FRERET, KRICK-COUVERT). Mais s’il y a eu déperdition, il y a eu aussi accroissement : les plus jeunes ont continué de procréer, les enfants des plus âgés ont créé leurs propres ménages (BARON-COUVERT, KRICK-COUVERT, CHAMBELLAND-TERRAL, TERRAL-CARDONE, Simon LAMASSOURE, etc.) et naissent les enfants de la seconde génération. La natalité l’emporte de loin sur la mortalité : 1 décès, 5 naissances en janvier-août 1906, 15 décès, 35 naissances en 1908.
S’il est raisonnable d’évaluer à 300 environ le nombre d’habitants appartenant à ce noyau originel, il en reste 400 dont on n’a guère parlé jusqu’ici et dont on essaiera d’étudier les origines.
On distinguera :
 Les indigènes musulmans,
 Les pionniers antérieurs à la colonisation officielle,
 Les immigrants français de souche,
 Les immigrants français d’origine israélite indigène
 Les immigrants étrangers ou d’origine étrangère, surtout espagnole.

Les indigènes : En créant un centre de colonisation nouveau, l’Etat escomptait un peuplement français. L’achat des terrains arabes, à l’amiable ou par expropriation, impliquait le retrait de la population indigène, fixe ou mobile, qui y vivait disséminée.
De fait, jusqu’à la Grande Guerre il n’y eut aucune famille arabe dans le village même, quelques-unes seulement sur le territoire communal. Parmi elles, Tahar Ben Mohamed, resté propriétaire de la parcelle 187, au dessus de l’oued Barbata ne serait il pas ce noir, voisin des Lamassoure, qui donna son nom au maléfique ‘’ Trou du Négro ‘’ ? Nous reviendrons dans un chapitre ultérieur sur le reflux de la population indigène dans la commune après la guerre de 1914 – 1918.
Les pionniers non officiels : La construction de la nouvelle route Tlemcen – Marnia (1884-1885) a précédé la fondation du village.
Les premiers plans parcellaires du territoire promis çà la colonisation font apparaître quelques propriétés non arabes sans doute acquises dans les années 1895-1897 :
 Abraham Moudram (ou Abouderrham) : 4 parcelles, près de 32ha (environ 1896), dont une maison en bordure de la route qui sera la plus ancienne du village, habitée dans les années 30 par la famille SANTONCHA.
 Pastor : 4 parcelles, 43ha (environ 1892), dont une maison en bordure de la route de Tlemcen, à mi-chemin entre la future ferme FABRE et le pont sur l’Oued Hafir.
 Emile DUCROS : 3 parcelles, 19ha (environ 1892), dont une maison dans le virage de la route en face de la future ferme FABRE.
 Para : une parcelle de plus de 18ha (environ 1896) en bordure de l’Oued Barbata après le premier virage sur la route de Marnia.
 Nicolas MARCOVICH (1890-1895) : ne possède alors rien sur le territoire communal mais exploite un moulin en territoire indigène au pied de la montagne.
 Augustin GOMEZ (1890-1900) : ne possède rien, mais exploite des charbonnières dans la forêt de Moutas.
 Clovis fournier (environ 1897) : ancien combattant de 1870, entrepreneur et entreprenant, en même temps maçon et aubergiste, indispensable aux particuliers et à l’Administration, se substituant à temps aux tâcherons défaillants, semble avoir été une figure majeure des années de gestation et de naissance du village. A peut être lui-même planté les trois platanes.
 Haîm BENICHOU (1890-1900) : Tlemcénien, lance dès 1890, avec Chaloum DARMON, une liaison par diligence légère entre Tlemcen et Marnia. Il s’installera plus tard au village.

De ces huit pionniers, quatre au moins ont participé au peuplement du nouveau village :
 DUCROS son fils Auguste
 MARCOVICH ses trois fils Victor, Baptiste, Emile
 GOMEZ ses neufs enfants qui fondèrent autant de foyers
 BENICHOU ses 5 enfants.

J’ignore s’il y eut des PASTOR au village, si l’une des familles juives présentes plus tard au village avait un lien avec ABOUDERRHAM et si certains de nos PARRA descendaient de celui de la parcelle N° 199.

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