souvenir

Pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village

mardi 9 décembre 2008

La faute d'orthographe sur l'ardoise montre que le photographe n'était pas de la région

A tous ceux qui reconnaissent des visages, merci de nous aider à rédiger une légende par un commentaire (cliquer ci dessous)


Cliquer sur la flèche pour visionner les images

lundi 8 décembre 2008

Création du Village de Turenne - Sabra - (Une partie de son Histoire !)

Avertissement: Ces textes sont de Camille ROUSSILHES , né à Turenne en 1955 et qui signe merveilleusement son travail d'historien et de généalogiste par ce proverbe chinois


A qui sait attendre, le temps ouvre ses portes

Je (Camille) suis entré en possession de renseignements sur la création du village de Turenne :
- Site d'El Bridj futur Turenne- Etat des possessions- Lotissement Turenne en 1896- Lotissement Turenne 1896 Jardins et Vergers- Plan et liste des Colons- Liste Electeurs 1909- Liste Electeurs 1939
Tout ceci grâce à M. Guy COUVERT, faisant partie de l'Association Des Turenniens, tiré du Bulletin '' La Source Folle '' (pour les connaisseurs !) Que je remercie encore une fois, de ce cadeau providenciel. Il y à aussi la vie du village, depuis sa création, les institutrices et instituteurs, ainsi que des anecdoctes de la vie de tous les jours.

dimanche 7 décembre 2008

Le site du futur village

Dés 1850, quarante-cinq ans avant sa naissance, le site du futur Turenne est repéré et décrit comme très favorable à la fondation d’une colonie de peuplement.
Occupée en janvier 1836, cédée à Abd-el-Kader en 1837, réoccupée en 1842, Tlemcen est depuis onze ans le chef-lieu d’une province frontalière ou la paix est longue à s’installer.
Sebdou, Marnia et Nemours abritent les garnisons avancées qui protégent le pays à l’ouest.
De là et de Tlemcen partent les expéditions ou les coups de main qui harcèlent Abd-el-Kader ou ripostent à ses propres attaques.
Parmi les soldats, tous ou presque tous fils de paysans de France tirés au sort pour sept ans, on en pourrait reconnaître qui s’appellent Pierre COUVERT, Joseph ROCHE, Jean CABANEL, Isidore GARLAND, Marie HUGON, Antoine MOUILLERAS…
Des noms qu’on retrouvera, Abd-el-Kader soumis, la paix imposée, dans des villages bientôt créés autour de Tlemcen.
En effet, si certains soldats – tout au moins les rescapés u combat, de la dysenterie, du typhus – sont rentrés chez eux, beaucoup sont restés : on leur promet la concession d’une terre s’ils trouvent une femme pour y fonder une famille.
Ainsi, de 1846 à 1849, naissent les quatre premiers villages autour de Tlemcen : Mansourah, Négrier, Safsaf et Bréa.
A Safsaf, en attendant que leur maison soit construite, les nouveaux colons logent sous les tentes prises aux Marocains à la bataille d’Isly.
En 1853, un nouveau plan de colonisation est lancé.
Une circulaire intitulée ‘’ Renseignements sur des terrains propres à la colonisation ‘’ se présente sous la forme d’un grand tableau à 12 colonnes répertoriant 27 sites pour la seule subdivision de Tlemcen.
Au N0 19, on lit :

‘’ El Bridj / Tribu Douy Yahia (Ahl Belghafer, Ouled Hamou / 400 ha aux Domaines, à relever / 600 ha acquis par échanges ou dépossession / total 1000 ha / bons terrains en grande partie arrosés / sur la route arabe d’Ouchda et sur celle de Maghrnia (traverse) / couvert par la Tafna et le Soufineraf / 28 km de Tlemcen 17 km de Maghrnia / 1 centre / 100 feux / terrain pris sur des tribus émigrées ‘’.
L’année suivante, nouveau rapport daté d’Oran le 19 septembre 1854 et intitulé ‘’ Etudes sur la colonisation dans la Province d’Oran ‘’.
Pour le futur Turenne, on lit :
‘’El Bridje, N° 115 sur la carte. En tête de l’O Soufeniraf, on trouve les ruines romaines nommées El Bridje, sur la route d’Ouchda et un peu plus loin, la belle source d’Aîn Sabra. Tout à l’entour sont de nombreuses ruines de dechras berbères.
Les terres, arrosables, suivent le cours du Barbatta et on peut assigner en ce lieu pour la colonisation un territoire de 1000 ha, s’élevant du chemin d’Ouchda à la traverse de Maghrnia.
De grands espaces sur les plateaux sont couverts d’oliviers sauvages. Les terres seraient prises en parties aux Ahl Belghafer et en partie, par échange, aux Ouled Hamou.
Quatre années passent. Nouveaux rapport dont le titre circonstancié manifeste en 1858, la prudence de l’Administration Impériale (nous sommes sous Napoléon III) : ‘’Projet pour servir dans un avenir plus ou moins éloigné à la colonisation progressive des routes, grandes communication et lieux principaux du territoire actuel de la Province d’Oran pour l’implantation de 100 000 européens ‘’.
La région de Tlemcen est intéressée pour 14 000 habitants. Je relève entre autres projets : Honein 400 h, Aîn-Tolba (6 km au sud de Nedroma) 150 h, Sidi-Medjahed 2000 h, Oued-Zitoun 500 h, Béni-Mester 300 h, Tléta 300 h.
Grandiose rêve ! Un siècle plus tard il n’y d’européens à Béni-Mester ou à Tléta, que notre couple d’instituteurs, un couple de fermiers et nos enfants…
Le site de Turenne est à nouveau décrit, avec des répétitions et des détails originaux :

‘’ N° 21 : El Bridj 140 feux, 2500 ha. A 28 km ouest de Tlemcen, sur une route de traverse conduisant à Maghrnia par Sidi-Medjahed ainsi qu’à Ouchda ; en tête de l’Oued Sifinouraf et non loin de la belle source de Sabra.
Tout à l’entour on trouve des ruines romaines et de nombreuses traces de dacheras berbères. Des rectifications aux canaux actuels suffiront pour arroser la plus grande partie des terres affectées au village.
Du côté sud s’étendent de grands espaces d’oliviers sauvages derrière lesquels commence la forêt des Daîrs Yahia. El Bridj est un des plus beaux points de la subdivision.
L’abondance des eaux, la salubrité de la position, la qualité des terres, ma proximité des bois tout semble lui assigner d’avance une grande importance dans l’avenir. Le pays ne paraît pas encore assez sûr ‘’.
Le pays ne paraît pas encore assez sûr ! Attendons donc qu’il le soit devenu.

El Bridj

Le site retenu pour l’installation du nouveau village est nommé El Bridj dans tous les documents d’au moins vingt ans antérieurs à sa fondation. Puis ce nom disparaît, non seulement dans les rapports officiels mais aussi dans les mémoires.
Je ne crois pas que personne parmi les habitants ou voisins du village, actuellement vivants ou non, français ou algériens, l’ait jamais entendu ou utilisé.
Très tôt, le nom de la source voisine, Aîn Sabra, souvent abrégé en Sabra, tend à se substituer à celui d’El Bridj, avant même le choix du nom officiel, Turenne, mais après, semble t’il, la construction de la nouvelle route de Tlemcen à Marnia en 1884.
Jusque là, et depuis 1844, on se rendait de Tlemcen vers l’ouest – du moins les troupes en convois, les voyageurs en voiture, les commerçants à cheval ou en chariot, car les paysans ou les rebelles indigènes, les soldats en opérations légères. Les européens aventureux et bien armés utilisaient le réseau embrouillé de sentiers qui allaient au plus droits à travers collines et ravins, pacages et forêts, d’une source à l’autre, reliant les villages ‘’Qbaîl ‘’ (Kabyles) de Zelboun, Béni-Mester, Zhra, Tafessera, El Kef, El Khmis ou les 44 Douars ‘’ (camps de tente, de Khaîmas) des nomades Ahl bel Ghafer, Oued Hamou, Tameksalet. on se rendait donc de Tlemcen à Marnia par la route militaire construite au lendemain de la création du poste de Lalla Maghrnia, en avril 1844. Le Génie avait construit dans les seules années 1843 et 1844, pour les besoins de la guerre, 357 lieues (1428 km) de routes dont celle d’Oran à Sebdou par Tlemcen (44 lieues) et celle-ci, de Tlemcen ) à Lalla Maghrnia (15 lieues).
On sortait de la ville par la Porte du Nord pour descendre jusqu’à Hennaya ; là on quittait la direction de Rachgoun, de la mer, pour prendre vers les Zenata, au nord ouest, jusqu’au Café Maure, on descendait les lacets de ravin de l’Oued Messaoud, on remontait sur les crêtes. on redescendait traverser l’Oued Zitoun (à 15 km en aval de notre pont de l’Oued Zitoun), on revenait plein sud jusqu’à la Fontaine du Génie, halte aménagée et là enfin plein ouest jusqu’à Marnia, en passant le gué de Barka.
Evitant forêts, ravins encaissés et autres coupe-gorge, la route tâchait de rester en terrain découvert et de suivre les crêtes.
El Bridj était à l’écart de cette route qui l’approchait au plus près au coude de la Fontaine du Génie.
Au gué de Barka, à un ou deux kilomètres en aval du pont métallique que nous avons connu, on voyait encore il y à quarante ans les ruines d’un ancien pont : une longue culée de pierre sur chaque rive, les restes de deux ou trois piles dans le lit de la rivière.
On l’appelait ‘’ Pont du Génie ‘’. Sans doute un pont ‘’ à l’Américaine ‘’ comme disaient les ingénieurs de l’époque, ‘’ avec piles en maçonnerie et le reste en charpente. Ils offraient des inconvénients sérieux à cause de la facilité avec laquelle les arabes les détruisaient en les incendiant. Lors de la grande insurrection de 1845, les émissaires d’Abd-el-Kader brûlèrent en effet presque tous ceux de la province d’Oran.
Et parmi eux, celui de la Tafna, ainsi qu’un autre sur la Mouilah, en direction de Nédromah. Car notre région fut durant ces années 1842 à 1847 constamment parcourue par le va et vient des troupes d’Abd-el-Kader, qui avait ses arrières à cheval sur les limites indécises du Maroc et de l’Algérie et celui des troupes françaises qui les poursuivaient ou se réfugiaient dans les postes fortifiés.
On signale d’ailleurs, le 20 mars 1842 moins de deux mois après la réoccupation de Tlemcen, un accrochage à El Bridj entre des ‘’coureursd’Abd-el-Kader ‘’ et ‘’ les cavaliers du Gal Mustapha ‘’ arabes ralliés à la France.
Que signifie ‘’ Bridj ‘’ ? Est-ce déformé par le temps, la prononciation locale, la transcription française, le mot arabe ‘’ Borj ‘’, c'est-à-dire ‘’ fort ‘’ ‘’ forteresse ‘’ ? Le nom garderait il le souvenir d’un point fort sur l’ancien ‘’ limes ‘’ romain, sorte de ligne fortifiée marquant au III ème siècle, moment de la plus grande extension de la souveraineté romaine en Afrique, la limite entre le pays soumis au nord et insoumis au sud ?
Les descriptions du site, presque à chaque fois, signalent la présence de ruines romaines.
Nous n’avons jamais vu ces ruines, je n’en ai jamais entendu parler par les anciens.
L’imprécision des descriptions autorise à les situer ici ou là dans le vaste espace qui s’étend des limites nord du village jusqu’aux abords de la Grande Source.
On n’a dû avoir aucun scrupule – à réutiliser les bonnes pierres qui ‘’ encombraient ‘’ le site, pour des constructions alors jugées plus urgentes que les études archéologiques.
Les précédents ne manquent pas.
A Tlemcen, le minaret d’Agadir partiellement reconstruit au XIII ème siècle montrait de belles inscriptions latines sur son soubassement bâti au IX ème avec les pierres empruntées aux monuments romains voisins.
Et l’Abbé Bargès qui visite Tlemcen en 1846 raconte que, relevant les inscriptions latines éparses sur le site de Pomaria-Agadir, il fut renvoyé au cimetière juif ou, lui dit-on, il trouverait de nombreuses pierres funéraires réutilisées, inscription latine d’un côté, hébraïque de l’autre.
Mais là, un vieux juif lui montre du doigt le pont neuf de la route d’Hennaya, tout près, ou les dites pierres venaient de retrouver de l’emploi.
Où sont les pierres romaines d’El Bridj ?
Dans le pont de Barbata ?
Dans la carapace de la Grande Source ?
Dans les murs de la gendarmerie ?
Dans quelqu’une des premières maisons du village ?
El Bridj ? Ce point fort dont on ne sait s’il à porté un nom romain est sur le ‘’ limes ‘’, à peu près à mi-chemin de Numerus Syrocum (Marnia) et de Pomaria (Tlemcen-Agadir).
Plus loin, à l’est, toujours sur le limes, on trouvait Altava (Lamoricière) et Kaputtasaccorae (Chanzy).
Au sud est du village, dominant à droite le vallon de Sidi-Yahia, on apercevait le fier escarpement du Gueula, en arabe ‘’ El Jorf el Qala’a ‘’, la falaise de la citadelle.
A Turenne on prononçait ‘’dj’’ et ‘’g’’, un g du fond de la gorge. Si vous y êtes monté, vous avez pu voir un grand mur de pierre sèche, sorte de grossier rempart utilisant l’à-pic du rocher et amorçant une enceinte sur l’extrémité du plateau. La végétation, chênes verts ou thuyas, lentisques, gênait la perception du plan de l’ouvrage qui ne donnait d’ailleurs pas l’impression d’un ‘’ travail de romains ‘’. Restes d’un village fortifié post-romains ou se seraient réfugiés les habitants berbères, peut être encore un peu chrétiens, d’El Bridj, au moment de l’invasion arabe ?
Redoute arabe du moyen âge gardant la route de Tlemcen à Fès ?
On ne sait.

vendredi 5 décembre 2008

Les Expropriations

Il est plus facile de faire un enfant que de fonder un village et Turenne fut peut-être le village d’Algérie dont la naissance nécessita les plus longues études préalables, suscita les plus grandes hésitations, exigea les plus complexes démarches juridiques.
Dans les années 1850, on disposait autoritairement du vaincu ; dans les années 1880 et 1890, on ménage les formes avec ses enfants.
Coincée entre les colons qui veulent s’étendre et les indigène qui ne veulent céder du terrain, partagée entre le désire d’asseoir sa présence au centre d’un quadrilatère de 50 à 60 km de large, presque vide d’européens, surveillé par les quatre garnisons de Tlemcen, Sebdou, Marnia et Nemours et la crainte de déclencher par des maladresses quelque rébellion (le souvenir de Bou-Amama demeure), l’Administration balance.
Au fil des archives, on devine les conflits entre impatients et attentistes, entre les partisans de la manière forte pour qui les arabes ont le tort d’exister et ceux qui, les administrant de près, les voyant vivre, cherchent à défendre ou au mois à ménager leurs intérêts si ce n’est leurs droits.
On en arrive à des situations ambiguës ou des propositions non dénuées d’hypocrisie.
En voici deux exemples :

En 1882, on évalue à 1025 âmes la population des Ahl Bel Ghafer établis sur 5430 ha avant, 3018 ha après éventuelle dépossession. A 826 âmes celle des Oulad Addou établis sur 4330 ha avant, 3730 ha après, c'est-à-dire qu’après dépossession les premiers disposeraient de 3 ha par tête, les autres de 4.5 ha. Situation jugée supportable pour ceux-ci, insupportable pour ceux-là, d’autant que leurs sont enlevées les meilleures terres.
Et de faire cette suggestion : non loin au sud est, vers la haute Tafna, les Beni-Hediel (Ain Ghoraba) disposent de 9994 ha pour 1172 habitants, ôtons-leur 1500 ha au profit des Ahl bel Ghafer, il leur en restera encore plus de 7 ha par tête. Et le rapporteur d’écrire délicieusement : ‘’ le mal en se généralisant deviendrait mois sensible ‘’. (Commission de Colonisation de l’Arrondissement de Tlemcen, 9.11.1882).
Dix ans plus tard, rien n’étant encore décidé, de la visite sur les lieux d’un inspecteur de la colonisation naît une idée lumineuse.
A un kilomètre en amont du site, jusque là retenu (celui d’El Bridj), aux abords du premier virage sur la route de Tlemcen se sont installés récemment deux colons européens, Ducros et Pastor.
Leurs deux maisons, distantes de quelques cent cinquante mètres ne sont elles pas l’embryon d’un hameau ?
Il suffirait de construire là gendarmerie et abreuvoir, de dessiner un plan urbain, de ne pas s’occuper pour l’instant de voirie mais donner gratuitement un lot à bâtir ‘’ à tout colon qui aurait acheté à ses risques et périls des biens Melk ‘’.
En un mot, le village naîtrait de lui-même, aux moindres frais pour l’état.
L’Administrateur travaille cette idée dans les bureaux de la commune mixte de Seddou et sur le terrain, propositions et critiques vont et viennent plusieurs fois entre Seddou, Tlemcen, Oran et Alger, puis on n’en parle plus.
La vieille petite maison Ducros existait encore dans notre enfance, abandonnée et à demi ruinée au milieu d’oliviers et amandiers rabougris, ouverte à tous les vents, dans la courbe de la route en face de la ferme Fabre.
Des murs suintaient une acre odeur de fumée ancienne.
Une roue de charrette gisait sur le sol et terre cuite de la grande salle. Nous nous amusions à la faire tourner sur son moyeu, réveillant par son sourd ronron les fantômes demeurés invisibles derrière les plafonds crevés.
Cependant, les vieux projets primitifs jamais oubliés ont poursuivi leurs chemins.
C’est bien l’Etat qui, finalement, créera de toutes pièces le centre de colonisation, village au milieu, terres de culture autour, concédées à des colons qu’il choisira lui-même.
Signé le 16 juillet l’arrêté expropriant les terres qui n’ont pu être acquises à l’amiable est publié dans ‘’ L’Avenir de Tlemcen ‘’ du 31 août 1894 : il occupe 19 des 22 pages de ce petit journal d’annonces qui paraît d’ordinaire sur quatre pages. Chaque page cite 15 à 30 parcelles, 70 à 100 propriétaires.
Turenne a battu en effet tous les records de complexité de récupération des terres.
Il est cité pour cela par l’Historien Ch.R. Ageron dans le 2éme tome de ‘’ l’Histoire de l’Algérie Contemporaine ‘’ de Ch.A.Julien (Ed.P.U.F, page 84) : les 1750 ha 65 a 87 ca expropriés touchent 450 parcelles appartenant à 1552 propriétaires mais non autant de personnes car si chaque parcelle met en jeu plusieurs propriétaires, chaque personne peut être intéressée par plusieurs parcelles et ce, sans aucun parallélisme, c'est dire l’imbroglio à débrouiller.
L’étendue moyenne des parcelles est 3.9 ha, le nombre moyen de copropriétaires par parcelle est 3.5, moyennes peu significatives car ici est une friche à parcours de plusieurs dizaines d’hectares, là sont des lopins irrigués de quelques ares ; tel terrain intéresse plus de trente propriétaires, tel autre, par miracle, un seul.
Combien d’entre vous, à lire ces centaines de noms en reconnaîtriez portés de votre temps, voisins de culture ou de pacage aux limites de la commune, ou plus souvent ouvriers dans vos champs ou vos chantiers.
Est-il arrivé quelquefois que l’un d’entre eux ait dit : ‘’Tu vois ce caroubier, il était à mon grand-père ‘’ ?
L’expropriation décidée, publiée, il faut l’appliquer, la signifier aux intéressés (on trouve aux archives des dizaines de ces listes de notification signées ou marquées d’une croix par les expropriés), payer les indemnités et en même temps préparer l’installation des nouveaux occupants, aménager les infrastructures d’une part, découper équitablement les concessions et choisir les bénéficiaires d’autres part.
Cela demandera encore trois ans.
Pour l’instant, on limite les ambitions (140feux en 1858, sur 2500 ha, à peine 3.5 par tête si la moyenne familiale est de 5 personnes).
On installera 28 familles seulement en n’utilisant que 1341 ha des surfaces disponibles, 48 ha par famille, infrastructures collectives comprises mais le plan urbain prévoit 80 lots à bâtir permettant ainsi d’ultérieurs agrandissements.
Ces lots urbains s’alignent militairement dans un rectangle parfait des 410 m sur 315 m placé à cheval sur la route nationale, empierrée, de Tlemcen à Marnia, au seul endroit ou cette route très sinueuse trace une droite de deux kilomètres et demie.
Le village sera presque à égale distance des deux virages, Ducros en amont, Barbata en aval, limites futures de la ‘’ route du dimanche ‘’.
Il est presque au centre géographique du territoire colonisé, un triangle irrégulier limité à l’est par l’oued Hafir, à l’ouest par l’oued Barbata, écorné au sud au-delà de la Grande Source, échancré au nord et dont les côtés mesurent de 4.5 km à 5 km.
Aucun point du territoire n’est à plus de 3200 m du centre du village, n’importe quel champ sera à moins d’une heure de marche de la maison d’habitation.

carte du site El Bridj (cliquer pour agrandir l'image)

jeudi 4 décembre 2008

le lotissement de 1896

la première école est construite en 1896 – 1899

De Melle VARGAS à Maxime MARCOVICH : 60 Maîtres d’Ecoles . . . .

En même temps que la gendarmerie et les autres ouvrages du ressort de l’Administration. Le 3 octobre 1898 a lieu la « remise par le Service des Ponts et Chaussées à la Commune mixte de Sebdou des travaux d’installation du Centre de Turenne ».
Les rues et le boulevard empierrés, les caniveaux qui ceinturent les quartiers encore vides de maison, le captage et l’aménagement de la source, les réservoirs et les conduites de distribution d’eau, le lavoir et l’abreuvoir, tout est vérifié.
L’école enfin :
 Un bâtiment comprenant une salle d’école, un logement d’instituteur, une pièce servant de Mairie provisoire à laquelle est annexée un petit cabinet ; ensemble un préau couvert, un bâtiment annexe comprenant un bûcher et une buanderie, les latrines du Maître, de la Mairie et des élèves.
 La salle de classe a dans œuvre 10 m de longueur sur 6.50 m de large, elle est séparée du logement de l’instituteur par un vestibule de 2.70 m de largeur. Dans cette classe est aménagé provisoirement au moyen d’i=une cloison en briques sur champ un espace de 6.50 m sur 3 m pour constituer le cabinet du Maire et le dépôt des archives dont il a été question ci-dessus.
 Le logement de l’instituteur comprend trois pièces et une cuisine ayant ensemble dans œuvre les mêmes dimensions que la salle de classe. Sous la cuisine est aménagée une cave. La casse et le logement ont 4.10 m de hauteur sous plafond.
 Le préau couvert est constitué par un hangar ouvert au Nord lequel a 20 m de longueur, 4 m de largeur et 3 m de hauteur sous les entraits. Comme le bâtiment de l’école il est couvert en tuiles de Marseille.
 La buanderie et le bûcher sont construits contre le mur de clôture face postérieure et à l’angle N.E ., ils comprennent ensemble deux pièces ayant chacune 4.40 m de longueur sur 3.60 m de profondeur.
 Les latrines des élèves comprennent 2 cabinets d’aisance et deux urinoirs, un des deux cabinets est provisoirement installé pour la Mairie et est muni d’un siège et d’une cuvette.
 Les latrines du Maître comprennent un seul cabinet adossé à la façade postérieure du bâtiment.
 La cour des élèves est séparée de la partie réservée au maître et est provisoirement au service de la Mairie par une barrière à claire-voie.
 La cour entièrement clôturée a 80 m de longueur sur 20 m de profondeur.

Tournant le dos à la rue qui monte vers la Source et séparée des jardins par le boulevard sud, l’école occupe l’aile orientale de la vaste place ou seront implanté ultérieurement la mairie, le nouvel abreuvoir, les autres écoles, le monument aux morts.
Cette place sera, jusqu’à l’incendie de 1926, encombrée chaque été par de hautes meules de gerbes autour de l’aire à battre.
En juillet de cette année-là, alors que le siroco soufflait depuis plusieurs jours, le gerbier flamba, la récolte fut détruite.
Le vent du sud, surchauffé encore et desséché si cela se pouvait par les brasiers, menaçait de son souffle torride les maisons ou luttaient contre la mort des bébés déshydratés.
Les colons furent alors invité à dresser leurs dangereuses meules hors du village.
En 1937, gisait toujours aux abords de notre école un rouleau de dépicage, lourde masse tronconique de pierre que les enfants, se mettant à plusieurs, s’amusaient à pousser au risque de s’écraser les orteils.
Il sera jeté l’année suivante dans les fondations de la nouvelle école indigène.

II – La première institutrice :

Dans l’hebdomadaire Tlemcénien La Tafna du 4 octobre 1899 on lit : Mouvement des instituteurs … Stagiaires…Institutrices chargées d’école : Melle VARGAS, d’Aîn Tekbalet à Turenne -emploi créé- Ainsi n’a-t-on ouvert l’école qu’après l’arrivée des premiers colons dont la plupart, il est vrai, avaient retardé leur installation, certains pour cette raison.
Louise COUVERT, par exemple, obtient son certificat d’étude en juin 1898 comme écolière de Négrier et Simon LAMASSOURE comme élève de l’école des Frères de Tlemcen.
Bien qu’ayant encore deux garçons d’âge scolaire, la mère de Louise installe néanmoins sans plus attendre sa famille dans le nouveau village, en novembre 1898.
Ces enfants ne seront pas les seuls à faire l’école buissonnière par la faute de l’Administration.
La classe de Melle VARGAS réunit garçons et filles. En décembre 1899, un rapport signale déjà que les « plafonds de l’école sont tous brisés … »

III – En 1906 :

Il n’existe qu’une école mixte fréquentée par 82 élèves, si l’on croit un concessionnaire, garde champêtre à Laferrière, qui renonce à rejoindre « un endroit si lointain » (24 avril 1906).
Déplorable situation confirmée par les rapports semestriels de l’administrateur de la Commune mixte : « la population scolaire est de beaucoup supérieure à celle qui peut recevoir l’instruction dans l école actuelle. C’es pour cette raison que l’autorité locale a proposé la création d’une nouvelle classe ». (Remchi, 30 août 1906), « la population scolaire compte 75 enfants, mais étant donné l’existence de la classe actuelle, 50 élèves seulement peuvent aller à l’école ». (Sebdou, décembre 1907).
Apparemment, ce n’est qu’en 1908, qu’une seconde classe est ouverte (et peut être construite la seconde école), fille set garçons étant alors séparés : « la population scolaire de Turenne compte une centaine d’élèves des deux sexes qui fréquentent très régulièrement l’école. Une école de garçons a été récemment créée ». (Sebdou, 20 avril 1909).
L’institutrice des filles est Elise BAILLET.
Sadia GUENANCIA (1908-1913) est le premier instituteur des garçons.
A la rentrée de janvier 1909, Mme BAILLET, mutée à Marnia est remplacée par Sultana GUENANCIA, suppléante auxiliaire (l’Echo d’Oran 23 décembre 1909).

IV – A la veille de la Grande Guerre :

Les deux écoles sont conduites par M. et Mme LOUSTALOT (1913-1917).
Celle-ci réussit au C.A.P le 13 mars 1914 ; deux élèves de chacun d’eux réussissent au Certificat d’Etudes le 30 mai à Tlemcen.
Durant la guerre arrivent les deux Léa, Julien et Briançon, celle-ci à peine âgée de vingt ans, qui deviendront l’une Mme DUCROS, femme du futur maire, la seconde, en 1921 , Mme SAINT-SERNIN, femme du future secrétaire de mairie
V – au lendemain de la grande guerre :

Semblent exister les deux écoles çà deux classes telles que nous les avons connues dans les années trente.
Elles se font face, de part et d’autres de la grande place, à respectueuse distance de la mairie et du Monument aux Morts.
Des oliviers plantés en quinconce jettent sur le sol une ombre insuffisante.
Lorsque arrive la chaleur du troisième trimestre, c’est au-delà de la rue, sous les platanes qui disputent leur eau aux jardins, que les garçons cherchent la fraîcheur en attendant l’ouverture du portail.
Les filles font de même de leur côté, mais loin des garçons, aux abords de la maison forestière tandis que ceux-ci restent aux abords de la gendarmerie.
A l école de filles il y à, pour longtemps, Mme DUCROS et Mme SAINT SERNIN.
Côté garçons, on voit M. BORD en 1917-1922, puis Victor GUENOUN en 1923-1927.
Edouard LAMASSOURE se souvient que M. GUENOUN forma la première équipe de foute qui jouait sur un terrain en pente, au-dessus du lavoir.
Les buts étaient matérialisés par des pierres et des vestes.
Dans l’un de ces buts il voit Marcelin DIENER ; parmi les joueurs, les frères VINCENT ET Bernard TORRES et d’autres dont les noms ne lui reviennent pas.
M. et Mme BRIAND suivent en 1929-1931, puis M. ET Mme DAMVILLE en 1931-1933.

VI – A la veille de la seconde guerre :

Jules MARTINEZ succède en 1933 à Pierre DAMVILLE.
Oranais, il n’appréciait pas les hivers froids de Turenne et n, de novembre à mars, on ne le voyait jamais hors de son pardessus.
Auguste GARCIA lui succède en 1936.
L’épouse de l’un ni de l’autre directeur n’étant institutrice, la deuxième classe fut tenue par une succession d’adjoints, jeunes instituteurs (le p’tit maître disions nus) qui faisaient souvent leurs premières armes : M. CHIRAT, impatient et violent, Melle SICSIC qui prétendait que j’écrivais comme un bœuf qui laboure (elle n’en avait jamais vu), M. ROUX (on prononçait ROUXE), très gentil M. André DETTLING devenu à la suite d’un incident, un héros à nos yeux, Mme NUCCI, la plus expérimentée.
Coté filles, Me DUCROS, directrice de 1915à 1937 environ, fut épaulée jusqu’à sa retraite par Mme SAINT SERNIN qui devenue directrice à son tour, passera en 1949 le flambeau à son adjointe, Mme NUCCI (Adrienne SABROUX).
Odette TYRODE, normalienne sortante, arrivée en octobre 1937 demeurera jusqu’en 1942.

VI I - Les tout petits :

Sont accueillis à partir des dernières années 20.
Jusque là, les deux écoles recevaient les enfants de six à douze ans, en conservaient certains un an de plus pour le certificat, et acceptaient les petits de cinq ans qui leur étaient confiés.
Désormais, l’Asile, installé à l’ouest du village au fond d’une petite cour fermée sur la rue par une grille, reçoit les petits de quatre et cinq ans.
La première maîtresse en fut Mme QUASTAN, suivie de Melle BOURNIQUEL puis en 1931, d’Adrienne SABROUX qui y obtint son C.A.P.
Son vieux père, assis sur une chaise adossée au mur de la classe, prenait le soleil tandis que nous jouions autour de lui.
Vers 1935 est construite la nouvelle école enfantine attenante à l’école des filles : on ne parle plus d’Asile.


VIII - L’école indigène :

Pendant 25 ans, seuls les enfants européens intéressent l’administration.
Quelques élèves arabes sont admis à l’école mais a titre individuel, ZERROUKI par exemple, fils de douanier, qui obtient son certificat en 1914.
Ce n’est qu’après l’érection du village en commune de plein exercice et sous la municipalité DUCROS, que, vers 1925 est ouverte l’école indigène.
Elle est installée légèrement à l’écart du village, un peu plus haut que la gendarmerie, sur la route de la gare.
M. OUDJDI en est l’instituteur.
En 1938 sera construite une école neuve de deux classes, dans le village même, entre la mairie et l’école des garçons.
Elle sera dirigée par M. OUDJDI jusque vers 1945, avec Kazi AOUAL pour adjoint.
Pour les filles, rien.
Quelques petites mauresques, comme nous disions, sont admises à titre individuel à l’école des filles.
Qui ne se souvient de l’adorable Yamina KETTAB qui invita plus tard plusieurs de ses camarades de classe à son mariage.

IX – Pendant la guerre :

En 1939, la guerre vient tout embrouiller, non seulement par la mobilisation des hommes mais encore en 1941-1942, par les lois racistes de Vichy qui interdisent de fonctions les instituteurs juifs.
A l’école de garçons ; M. GARCIA parti à la guerre et retenu prisonnier, ne rentrera qu’en 1945.
Emmanuel ROBLES qui le remplace à la rentrée de 1940 est remobilisé fin 1942.
Leur adjointe, Mme AMOUYAL, est licenciée en 1941.
Des institutrices, quand il y en à se succèdent, suppléantes ou jeunes normaliennes : Melle CASAMAYOR, Simone AILLOUD, en 1943 Georgette BENAROCHE, etc.
A l’école des filles, seul changement, Mme STRAUSS succède à Melle TYRODE dans la classe enfantine.
A l’école indigène pas de changement.

XI – L’école indigène :

La consultation récente des listes électorales Turenne (électeurs musulmans) aux Archives d’Outre Mer, me permet d’apporter un rectificatif à ce qui a été dit : ce n’est pas M/ OUDJEDI qui à ouvert l’école indigène à sa création.
Peut être est-ce M. Kaya TANI BACHIR, un Tlemcénien, qui la dirigeait encore en 1929-1930.
Lui succéda Mohammed BRIXI de 1930- à 1932, puis Bachir OUDJEDI (et non OUJDI) probablement à la rentrée d’octobre 1932.
L'actuel directeur de l'école, Mr MILOUDI précise qu'il s'agit de M. Kaya TANI BENALI et non pas BACHIR

XII – La guerre terminée :

M. GARCIA, reprend sa place, avec Maxime MARCOVICH comme adjoint.
A l’école indigène, M.MARTIQUET succède à M. OUDJEDI avec M. Kazi AOUAL comme adjoint puis, les effectifs gonflant on y ouvre une 3éme classe confiée à Pierre FERRAND puis une 4éme à Guy COUVERT (1949-1950).
En 1949 est intervenue la fusion des enseignements européens et indigènes, appelés respectivement A et B depuis 1945.
Turenne joue honnêtement le jeu : l’école des filles s’ouvre largement aux musulmanes ; les deux écoles de garçons mêlent leurs effectifs.
C’est ainsi qu’en1950 mon CP compte 12 européens et 36 musulmans (comme nous disions officiellement).
Les années passent.
A M .MARTIQUET, succède M. TOUTA ; accompagné de son épouse et adjointe Dalys SERGENT.
A M. GARCIA muté à Aîn-El-Turk ou je le retrouverai en 1962, succèdera Maxime MARCOVICH.
Parmi les adjoints, j’aperçois Aline LAMASSOURE, Georges LEVY.
Vers 1954 est construite une nouvelle école de garçons, plus grande, sur l’emplacement de l’ancienne, ensevelissant sous ses ruines nos souvenirs d’écoliers.

XII – Avec les années chaudes :

Et le gonflement des effectifs, arrive une cohorte de jeunes maîtres et maîtresses dont beaucoup sont nés au village, ou sont épousés par les étrangers et étrangères conquis par lui : Jocelyne COUVERT (1956-1964) et Jean-Paul GALVEZ (1963-1964), François ALARCON et Paule JANIN (1957-1964), Hubert COUVERT et Simone RONDOLAT, Sylvette ROSTAING et Jean BADER, Robert SAHUT et Marcelle ROSELLO, Oukacha SBIH, Clotilde PEREZ, Claude ROSTAING…
A l’écart du village, deux nouvelles écoles sont construites, celle de BARBATA, avec André COUVERT (de ? à 1964) et celle de SIDI-YAHIA avec Charles BOULAND.
Quelques uns resteront au-delà de l’Indépendance algérienne dont Maxime MARCOVICH qui tiendra le flambeau jusqu’à sa retraite en 1976.

Guy COUVERT

mercredi 3 décembre 2008

lotissements de 1896 à 1935

Infrastructures et Bâtiments Publics

C’est donc l’Etat qui prend en charge la fondation du village et qui, simultanément, lance les expropriations, établit la liste des nouveaux colons et procède aux travaux d’infrastructure.
L’avant projet, au début de 1895, subit des modifications pour tenir compte de l’avis de l’inspecteur de la colonisation M.Vonnoy : réduction de moitié de la place jugée trop vaste, élargissement des rues de manière à pouvoir planter des arbres sur chaque trottoir, agrandissement de l’école.
Avis des autorités civile et militaire se rejoignant, la gendarmerie sera conçue comme ‘’un réduit défensif permettant aux gendarmes de se défendre en cas de besoin et pouvant même servir pendant quelques heures de refuge aux habitants du village en cas d’événement graves (L. du Préfet d’Oran au G.G.A. ; 7.6.1895).
D’où cet aspect extérieur de fortin qu’avait la gendarmerie avec ses murs aveugles percés de créneaux et ses deux bastionnés d’angle, opposés ‘’de manière à prendre en enfilade les quatre directions’’.
Evalués à 112 000 F, les travaux sont mis en adjudication à l’Hôtel de Ville d’Oran le 8 novembre 1895.
Un certain Lorenzo l’emporte contre douze autres soumissionnaires avec un rabais de 26 c le franc !
La gendarmerie mise à prix 40 000 F sera officiellement construite par un certain Martin, en réalité, semble t-il par Pierre Fournier.
Le rapport de l’inspecteur de la colonisation pour le premier semestre 1896 indique que les travaux vont bon train sauf pour les plantations qui ‘’auraient pu être faites au mois de février et on aurait gagné ainsi une année ‘’ et la gendarmerie ‘’ qui aurait dû être terminée en juin ‘’, et ne le sera pas avant la fin de l’année.
Cependant, le 3 octobre 1898 a lieu la remise des ‘’ travaux d’installation du centre de Turenne ‘’ par ‘’Platel conducteur des Ponts et Chaussées’’ à ‘’ Laffargue Administrateur adjoint de la Commune mixte de Seddou ‘’, à savoir :
1. les rues, boulevards et la place publique du village…
2. les caniveaux établis dans toutes les rues…
3. un bassin abri construit sur la source d’Aîn Sabra
4. la conduite d’amenée des eaux de l’Aîn Sabra
5. les bassins réservoirs couverts…
6. les conduites de distribution dans le village…
7. un lavoir et un abreuvoir à l’entrée du village du côté de Tlemcen, à droite et à gauche de la route nationale…
8. un bâtiment comprenant une salle de classe, un logement d’instituteur, une pièce servant de Mairie provisoire…

Les travaux inventoriés ici intéressent le rectangle délimité par les quartiers I.L.T.S ou dans les années trente, par les maisons Auguste, Bedoin, Victor, Bonnet, Etienne, Marcovitch, Maison Forestière.
Un boulevard de 20 m (plate forme de 10 m, deux contre allées de 5 m) l’entourent, un autre le traverse (route nationale) ; les autres rues ont 15 m (chaussée empierrée de 7 m, deux trottoirs de 4 m).
Le lavoir et l’abreuvoir occupent les futurs emplacements de la poste et de la salle des fêtes.
Le bassin abri de la source est décrit tel que nous l’avons connu avec son gros dos de tortue sur lequel nous grimpions.
Une conduite de 1527 m amène l’eau aux deux réservoirs aux regards fermés chacun d’une tôle que nous contournions ou au contraire piétinions en les faisant résonner, sur le chemin de traverse de la gare.
La distribution se limite pour l’instant à deux conduites, ‘’boulevard central’’ (route nationale) et ‘’ rue de l’école ‘’, alimentant le lavoir, l’abreuvoir, quatre bornes fontaines (une à l’école –il était interdit de sucer le robinet, tout au moins de se faire prendre-, une sur la place, deux sur le boulevard central) et munies de ‘’ 7 boites d’arrosage ‘’ et de ‘’ tubulures d’attentes aux branchements de rues ‘’.
Apparemment, dans ce premier temps, pas de branchements individuels : les premiers colons iront prendre l’eau à la borne.
La salle de classe serait vaste (10 m sur 6.50 m si on n’y avait ‘’ aménagé provisoirement au moyen d’une cloison en briques sur champ un espace de 6.50 m sur 3 m pour constituer le cabinet du Maire’’. En compensation, le plafond est généreux : 4.10 m. Il fera frais en été (et froid en hiver).
Le ‘’ water-closet au fond du couloir ‘’ conseillé par l’inspecteur de la colonisation est devenu ‘’ latrines adossées à la façade postérieur du bâtiment’’. Une barrière à claire-voie sépare la cour jardin de l’instituteur de celle des élèves.
Qui a planté le néflier qui nous donnait son ombre par-dessus le muret substitué de notre temps à la barrière ?
Voilà donc le village tracé, alimenté en eau, pourvu d’une gendarmerie, d’une école ; prêt à recevoir ses habitants.
Certains sont déjà là d’ailleurs, sinon à demeure, au moins faisant le va et vient entre leur village d’origine ou la ville et Turenne, en attendant que leur maison soit construite ou que l’école soit ouverte (Melle Vargas ne sera nommée qu’en octobre 1899).
La preuve qu’ils sont là est que des déprédations sont commises au lavoir (conduite d’évacuation obstruée ‘’ évidemment par malveillance ‘’ par ‘’une boite de fromage de Mt Dore - 2.7.1898 - et que l’abreuvoir est jugé mal placé ‘’hors du village trop exposé à recevoir des bêtes de passage ‘’ porteuses du bacille de la morve (4.1.1889).

Chapitre VI : Les Concessionnaires

Lorsqu’on se plonge dans les archives et qu’on lit les rapports administratifs, les lettres personnelles, les pétitions, les doléances, sans négliger aucun texte, sans privilégier aucun point de vue, on voit se dissoudre ses préjugés, diverger ses sympathies, s’inquiéter son sens de la justice et son souci de vérité.
Quitte à heurter la sensibilité de beaucoup de lecteurs l’honnêteté m’oblige à énoncer ici, en les résumant brutalement, plusieurs constations qu’imposent les documents, après quoi je pourrai reprendre l’accent sur le travail et les mérites de ceux qui l’ont fait.

1. Le village est une création totale des français mais le territoire dont il sera le centre n’est pas désert en 1894 : il faudra en expulser ou y interdire de pacage plusieurs centaines d’habitants, arabes évidemment (berbères arabisés plutôt), la plupart semi-nomades, quelques uns sédentaires.
2. Si quelques propriétaires, individuels ou indivis, ont cédé leur bien à l’amiable, la plupart ont dû se soumettre de mauvais gré à un arrêté d’expropriation après de stériles tractations et de vaines pétitions.
3. Si tous les propriétaires ont étés régulièrement et assez rapidement indemnisés (1 du 18 août 1895 au 11 mai 1896, quelques retardataires le 20 août), ils l’ont été à un prix évalué et fixé par l’Administration et près de la moitié ses sommes a été versée aux créanciers hypothécaires, pour l’essentiel la Banque d’Algérie.
4. Apparemment tout s’est bien passé dans le cadre légal et sur le plan juridique, sans brutalités. En tout cas je n’ai pas trouvé de documents faisant état d’une intervention de la force publique.
5. Tout le territoire exproprié n’était pas en friche. Si 88 % de la surface présentait le paysage que nous avons connu soit au Bivouac et autour de la Source Folle (palmiers nains, asperges sauvages, scilles et asphodèles), soit au cimetière se Sidi Ghalem (lentisques, broussailles, palmiers nains), soit au Bosquet du Marabout vers Marnia (chênes, caroubier, lentisques), en revanche 12 % était défrichés et cultivés dont le quart en jardins et vergers irrigués
6. Partagé en concessions, le territoire ainsi libéré est attribué exclusivement à des français de souche : pas un nom espagnol ou italien (la loi de 1889 dite ‘’ de naturalisation automatique ‘’ n’a pas encore fait, dans son domaine, son effet), pas un nom juif (le décret Crémieux prescrivant la naturalisation collective des juifs indigènes date pourtant de 1870) parmi les 28 concessionnaires de 1897 ni les 16 de 1904. Nous voyons, dans les archives, se présenter, se dédire, s’installer, persévérer ou renoncer, prospérer ou péricliter ces colons français de la première heure, nous apercevons à peine, incidemment, les autres habitants, espagnols ou juifs, qui bientôt cependant contribuent à la croissance et à la prospérité du village. Quant aux arabes, ils jouent le rôle de repoussoirs.

Cela précisé, voyons l’installation des premiers colons. Qu’ils soient privilégiés n’ôte pas grand-chose à leurs difficultés, rien à leur mérite.
L’ambition de l’Administration était double :
1. créer au centre d’un vaste territoire resté presque vierge de toute action colonisatrice un noyau européen vigoureux et rayonnant
2. instiller dans la population européenne un apport nouveau d’immigration métropolitaine. Vers ce second but elle se heurte dès l’abord à deux obstacles :
2.1 Les candidatures sérieuses à l’immigration sont moins nombreuses qu’on ne l’avait espéré
2.2 Les notables politiques de Tlemcen, sous la pression de leurs clientèles électorale, cherchent à placer des colons ou enfants de colons en mal de terre des villages environnants. Sans entrer dans le détail des tractations, nous constatons, en 1896, que sur 28 concessionnaires retenus, 10 seulement sont des ‘’immigrés’’, 18 sont des ‘’algériens ‘’ (ce sont les termes utilisés). L’un de ces dix refuse la concession obtenue, son successeur de même et la concession échoit à un algérien d’Hennaya, François BLANCHON. Une autre, d’abord acceptée par Constantin GIN mais non occupée dans les délais est attribuée) à Delphin FRERET d’Hennaya également. Une troisième est acceptée par CHRISTOPHE Joseph, de la Drôme qui obtient de s’en dessaisir au profit de son neveu, Sébastien CARDONE, cafetier à Aîn Khial.
Voilà donc le nombre d’immigrant réduit à sept, le quart du contingent !


Les algériens, à l’exception de CARDONE, viennent tous du pays de Tlemcen : de Tlemcen même (François DESCAUNET , Edouard MORETY), de Bréa (Jean et Louis BARTHE, Jean Pierre LAMASSOURRE), de Mansourah (Joseph YZOARD, Jean BEDOIN), de Négrier (Bernard et Charles COUVERT, Pierre DUCLA, Louis LOUET, Jean ROUMAT), de Safsaf (Jean BAICHAIRE, Jean ROUSSILHES), d’Hennaya (Victor CAYLA, BLANCHON, FRERET, Célestin TERRAL, Edouard VENEL) et de Nemours (Louis DEROBLES).
Il est bon de noter que sur ces 21 algériens, 9 sont nés en France, mais qu’ils séjournent en Algérie depuis 1859 pour le plus ancien Lamassourre arrivé à 8 ans, à 1887 pour le plus récent Descaunet arrivé à 24 ans:

LAMASSOURRE Basses Pyrénées
DESCAUNET Haute Pyrénées
CAYLA Dordogne
BAICHERE Aude
LOUET Tarn
ROUSSILHES Aveyron
TERRAL Aveyron
CARDONE Pyrénées Orientales
MORETY Basses Alpes

Quant aux immigrants, ils viennent :

DEBROAS Florentin Ardèche
CAYLA Pierre Lot

Et les autres de la Drôme :
BOREL Joachim
JOANNIN Cyprien
JOUBERT Auguste Lincoln
VINCENT Paul et Emile
Ces quatre derniers du même village de Chatillon-en Diois


Tous ces concessionnaires s’affirment agriculteurs ou capables de l’être. Mais plusieurs ne le sont certainement pas :
MORETY et CARDONE sont cafetiers
BLANCHON et DEROBLES maçons
CAYLA Victor terrassier
DESCAUNET charron forgeron
JOUBERT mineur, mais comme souvent en France il cultive la terre de son père.
Tous sont mariés, quelques uns sans enfants, d’autres avec six (Jean BEDOIN, Bernard COUVERT, Célestin TERRAL), sept (Jean Pierre LAMASSOURRE) ou huit (Louis BARTHE).
La moyenne est trois par foyer.
L’âge moyen du chef de famille est 42 ans, les plus jeunes étant JOUBERT (26 ans^Charles COUVERT (30 ans) et VENEL (31 ans), les plus âgés JOANNIN et BOREL (58 ans) et TERRAL (54 ans).

Chapitre VII : Les Mises en Possession

L’expérience déjà cinquantenaire de la colonisation officielle avait montré que les concessions familiales ne devenaient viables qu’autour de 35 ha.
Turenne profite de cette expérience : les 28 concessions totalisent 972 ka 74 a 50 ca, soit 34 ha 74 a d’étendue moyenne, les surfaces allant de 31 ha 10 a 80 ca pour la plus petite à 38 ha 26 a 60 ca pour la plus vaste.
Sauf à tracer au cordeau des rectangles de 700 m sur 500 m, il n’était certes pas possible ni d’ailleurs souhaitable de chercher à égaliser en surface les concessions : les terres ne sont pas d’égale qualité d’un coin à l’autre et le géomètre en à tenu compte.
Chaque parcelle avait été évaluée à son juste prix pour les expropriations.
On a élaboré 28 paquets de parcelles de valeur a priori équivalente en prenant en compte les facteurs alors considérés : terre fertile ou non, défrichée ou non, à dérocher ou non, irrigable ou non, en culture ou en pacage.
Chaque concession réunit sur un même modèle cinq ou six parcelles de natures définies :
- un terrain à bâtir de 8 a au village,
- un lot dit de jardin, irrigué de 20 a environ, entre le village et la source,
- un lot dit de verger, irrigable, de 30 a environ, dans la même zone
- une terre plus ou moins défrichée de 1 à 2 a à proximité du village,
- une ou deux terres à peine ou nullement défrichées d’une trentaine d’hectares autour de ce premier noyau.
Cette distribution apparaît nettement sur le plan du village.
Pour éviter favoritisme et contestation les 28 lots sont tirés au sort le 9 août 1897 à la sous-préfecture de Tlemcen.
Le chapeau contient les numéros des lots urbains de 8 a, chaque concession étant liée à l’un deux. Rappelons qu’en prévision d’agrandissements futurs 80 lots à bâtir ont été dessinés, 28 seulement sont tirés au sort, ceux des quatre quartiers (sur dix) situés au nord de la place de l’école. Les autres sont tenus en réserve ainsi que les quatre lots du centre, destinés à des artisans ou commerçants.




Voici les lots attribués et les noms de leurs attributaires :

7 : BERLIN (rayé, surchargé BLANCHON)
8 : DEBROAS
9 : BARTHE Jean
10 : IZOARD
11 : DUCLA
12 : PELLEGRIN
13 : CROZET (rayé surchargé BARTHE Louis)
15 : BEDOIN
16 : GIN
17 : LOUET
19 : BRETTE (rayé, surchargé MALHOUTIER)
20 : Vve COUVERT Bernard
21 : VéNEL
22 : CHRISTOPHE
24 : ROUSSILHèS
27 : DESCAUNET
28 : CHéRON
29 : TERRAL
30 : ROUMAT
32 : BAICHèRE
33 : BARTHE Louis (rayé, surchargé VINCENT Paul Emile)
34 : LAMASSOURRE
36 : MAS
37 : COUVERT Charles
38 : BORREL
39 : CAYLA Victor
40 : VINCENT Emile
42 : JOANIN

Cette liste ne sera pas définitive. Aux corrections déjà apportées s’en ajouteront d’ultérieures :
MORETY remplacera PELLEGRIN N° 12
FRéRET remplacera GIN N° 16
REYSSET puis CAYLA succèdent à MALHOUTIER N° 19
CARDONE se substitue à CHRISTOPHE N° 22
JOUBERT à MAS N° 36
La Vve de ROUSSILHES Jean obtient d’échanger son lot contre le N° 28 de CHéRON, défaillant
DEROBLèS obtient à sa place le N° 24 d’abord cédé à BEZAT qui renonce…
Si je cite tous ces noms, certains restés inconnus, c’est pour montrer la versatilité de nombreux prétendants qui, après avoir de loin rêvé à la fortune, sont venus sur place et ont trouvé le soleil trop chaud, la terre trop rocailleuse, les caroubier trop solides, bref les cailles pas assez rôties.
Aussitôt effectué le tirage au sort suit la formalité de la mise en possession. Le géomètre donne rendez-vous aux concessionnaires, à partir de septembre 1897, pour reconnaître les lieux. Les uns après les autres s’y rendent.


J’imagine ma jeune grand-mère Marie montant de Négrier avec son beau frère Charles COUVERT (ils ont rendez vous le 8 et le 9 novembre) en carriole dans la nuit pour prendre au petit jour à Tlemcen la diligence de Marnia.
La route empierrée est étroite, très sinueuse, bien dégagée à la montée et à la descente du col du juif, inquiétante dans les gorges de l’oued zitoun, c’est un aller-retour de deux jours avec souper et coucher dans la grande baraque que Clovis FOURNIER, ancien combattant militaire de 1870, à installée dés 1895 à l’entrée du village, face à l’abreuvoir.
Entre la baraque et le caniveau trois jeunes platanes d’un an, dépouillés par l’automne, sont surpris d’avoir échappé à leur premier été. on inspecte la concession de Marie lundi après-midi, celle de Charles mardi matin, conduits par le géomètre sur chacune des six parcelles, d’une borne à l’autre. C’est une bonne trotte qui mène du centre du village – empierrées, bordées de caniveaux, les rues étalent leur quadrillage plat, comme un plan dessiné sur le sol. Seuls se dressent au-dessus des doums, des guendouls et autres broussailles le fortin de la gendarmerie, la baraque de Fournier et le chantier de l’école.
Se voulant accueillants à l’entrée, remplis d’eau fraîche sans arrêt renouvelée, le lavoir et l’abreuvoir ont leurs abords souillés par les gens de passage – du centre du village donc, vers la source puis les confins du territoire, jusqu’à l’escarpement de travertin qui tombe sur Barbata au sud, jusqu’au bas fond de Chabet bent Allah (le ravin de la Fille de Dieu)
Qu’embaume la menthe sauvage au nord. Car Marie veut tout voir avant d’apposer sur le procès verbal la mention ‘’ qui accepte sa concession ‘’ suivie de sa signature.
Le procès verbal, sur formulaire imprimé, indique de la main du géomètre la teneur, la nature et l’état actuel de chaque parcelle. Par exemple : ‘’ lot n° 61 dit de jardin de 0.20.30 entièrement défriché ‘’ ou ‘ lot n° 196 de culture d’une contenance de 27.06.08, 1/6 défriché 5/6 en palmiers et broussailles. Une masure arabe, des amandiers, des figuiers et des oliviers existent sur ce lot ‘’.
Le procès verbal ne dit pas si un Arabe observait de loin les silhouettes arrêtées devant la masure, ni si Marie s’interrogeait sur la vie qui avait animé ce gourbi en ruines.
Ce qu’elle se dit plutôt c’est qu’il va falloir travailler dure et que la prospérité sera longue à venir.

Chapitre VIII : Premiers Occupants

Donc du 19 septembre 1897 au 30 avril 1898, 22 des 28 premiers concessionnaires ont visité et accepté leur terre.
Les six autres le feront dans les trois mois, ou les années, qui suivent au fur et à mesure du remplacement des défaillants.
L’occupation effective du village sera lente et laborieuse tant par les ‘’ immigrants ‘’ dont seul le chef de famille a passé la mer pour la prise de possession et hésite ensuite à faire venir femme et enfants tant que la maison n’est pas construite, que l’école n’est pas ouverte que par les ‘’ algériens ‘’ qui, pour les mêmes raisons auxquelles s’ajoutent pour certains l’entretien de ce qu’ils possèdent déjà, font le va et vient entre leur village d’origine et le nouveau.
Tous, ou presque tous, recevront à un moment ou l’autre au moins une mise ne demeure de s’installer sur son attribution d’une manière stable et définitive.
Prenons par exemple le cas de Marie COUVERT.
En mai 1898 (elle a 6 enfants de un à quinze ans dont 3 vont à l’école) elle écrit au Préfet de Négrier, pour obtenir un titre provisoire de propriété qui lui permettra d’emprunter : ‘’j’ai semé huit hectares d’orge mais je n’ai pu construire faute de ressource‘’.
En juin, Louise, obtenant le certificat d’études, restent deux enfants d’âge scolaire :
On habite donc toujours à Négrier en octobre même si Marie, laissant les petits à sa belle mère, va avec ses aînés faire les semailles (entre les palmiers nains) à Turenne.
Où couchent-ils alors ? À l’auberge Fournier sûrement trop chère ? Dans une pièce de la maison Descaunet (‘’ j’ai le premier bâti une maison dans ce village, cette maison a servi de refuge aux premiers arrivés ‘’ déclare t-il plus tard dans une lettre au préfet) ? Où entre les murs de la maison en construction, à l’abri d’une bâche ? Nous aurions dû être plus curieux et interroger nos anciens quand il était temps même s’ils préféraient laisser s’effacer des souvenirs trop pénibles. Ce va et vient ne convient pad à l’administration : une mise ne demeure est notifiée le 25 novembre 1898 par le commissaire de police de Tlemcen à Marie qui s’exécute et s’installe dans les jours qui suivent, définitivement, à Turenne. Albert et Charles sont-ils restés à l’école à Négrier chez la grand-mère ou les à-t-on laissés en jachère jusqu’à la nomination de la première institutrice, Melle Vargas, en octobre 1899 ?
Ainsi, le 7 décembre 1899, se défiant de rapports trop indulgents de l’Administrateur de Sebdou, le Sous Préfet de Tlemcen se rend sur place et constate ce qui suit :
- Barthe Jean, lot N° 9 : vient de temps en temps, ne réside pas, à loué sa maison au chef cantonnier Orgelier.
- Barthe Louis, lot N° 13 : n’a jamais installé sa famille, n’y est lui-même que quelquefois.
- Bedoin Jean, lot N° 15 : ne réside pas. Conseiller municipal à Tlemcen, habite Mansoura avec sa famille.
- Descaunet François, lot N° 27 : vient de temps en temps, ne réside pas, a loué sa maison à la famille Clément. Habite Tlemcen ou il est charron.
- Terral Célestin, lot N° 29 : ne réside pas, y a installé son fils aîné et un autre enfant. Habite Hennaya avec 4 enfants.
- Lamassourre Jean Pierre, lot N° 34 : habite Bréa avec sa femme et 5 enfants. Vient de temps en temps sur la concession.
- Couvert Charles, lot N° 17 : ne réside pas. Habite Négrier avec sa femme et 3 enfants.
- Borel Joachin, lot N° 38, immigrant, jamais venu sur sa concession. Son fils Frédéric réside seul.
- Morety Edouard, lot N° 12 : tient un café à Tlemcen, se rend de temps en temps sur sa concession, ne réside pas.
- Bézal Pierre, lot N° 24 : ne réside pas en dépit d’une mise en demeure. Prononcer sa déchéance s’il ne s’installe pas avec sa famille avant le 14 janvier.
- Reysset Vincent, lot N° 19 : immigrant, ne s’est même pas fait mettre en possession, mais concession seulement attribuée le 20 septembre 1899.

…..sur 28 concessionnaires, 17 seulement sont installés à Turenne alors que le peuplement est commencé depuis 2 ans.

Ces 17 sont : François BLANCHON, Florentin DEBROAS, Joseph IZOARD, Pierre DUCLA, Delphin FRERET, Louis LOUET, Marie Vve Bernard COUVERT, Edouard VENEL, Sébastien CARDONNE, Marie Vve ROUSSILHES, Jacques ROUMAT, Gabriel BAICHERE, Paul VINCENT, Auguste JOUBERT, Victor CAYLA, Emile VINCENT, Cyprien JOANIN, accompagnés, 13 d’ente eux de leur femme, d’environ 35 enfants, de quelques frères ou sœurs, de quelques beaux-parents et même de deux domestiques amenés de France.
Pas content le Sous Préfet ! Dépossédés, BEZAL et REYSSET seront remplacés par Louis DEROBLES en 1900 et Prosper CAYLA e 1906.
Les autres obtempèrent plus ou moins rapidement (nouvelles mises en demeure de Jean et Louis BARTHE, de BEDOIN, MORETY, DESCAUNET en 1901 ou 1902) mais tous finalement obtiendront leur titre définitif de propriété, soumis à cinq ans de résidence, entre 1902 et 1905, certains récalcitrants plus tôt que les plus disciplinés !
Quelles pensées trottaient pendant ce temps dans les têtes des témoins avoisinants, arabes expropriés et rejetés au-delà du lotissement, immigrants espagnols campant autour des charbonnières ou prêts à louer leurs bras pour aider à l’arrachage des palmiers nains et des caroubiers ?

Chapitre IX : La deuxième Vague

Les 28 premiers colons n’ont pas encore fini de s’installer que l’Administration prépare l’arrivée du complément jugé indispensable à la viabilité du village.
« Ce village, en raison de sa situation sur la route de Tlemcen à Lalla-Maghnia, doit être fortement occupé. Au point de vue stratégique comme dans l’intérêt du développement de la colonisation, le centre de Turenne a besoins en effet de recevoir la plus grande importance « écrit le Gouverneur Général au Préfet d’Oran le 11 octobre 1899.
Le village lui-même, avec ses 80 lots à bâtir, son eau arrivant aux fontaines, son garde champêtre (Victor CAYLA) nommé en juillet 98, son école enfin pourvue d’une institutrice (Melle VARGAS) le 4 octobre 99, son auberge FOURNIER reconstruite en dur et sa quinzaine de familles implantées à demeure est prêt a accueillir les nouveaux venus.
Reste à rendre disponibles, pour les leurs octroyer, les terres dispersées sur le secteur encore aux mains de leurs propriétaires traditionnels. L’Administration est soucieuse de les ménager. Elle n’a pas été indifférente à la pétition déposée le 1er avril 99 par 41 chefs de famille des Ahl-Bel-Ghafer pour s’opposer à de nouvelles dépossessions et cherche à désarmer cette opposition. Elle aimerait les violer avec leurs consentements et regrette que ses fonctionnaires, sur le terrain, ne soient pas plus adroits. En réalité, il y à alternance de succès et de revers, acceptation par les intéressés des conditions de cession proposées suivie, au moment de signer, de volte-face. Ce qu’exprime ce rapport de l’Administrateur de la commune mixte de Sebdou, le 11 février 1901, faisant état de « propriétaires revenus sur les promesses de vente ou d’échanges consenties il y à quelques mois…. (sous) la pression exercée par la famille BOURICHE qui a toujours vu avec peine la colonisation s’implanter à Turenne ‘’.
Les moyens de pression de l’Administration l’emportent cependant sur ceux des BOURICHE et le 29 janvier 1904 est affiché sur les murs de la ville et du village, diffusé par ‘’le courrier de Tlemcen «’’, l’arrêté ‘’ d’expropriation pour cause d’utilité publique avec prise de possession d’urgence des terrains nécessaires pour l’agrandissement du centre de Turenne, commune mixte de Sebdou’’. Sont touchés :
- au Douar Kréan : 5 parcelles, 15 propriétaires nommés, plus les consorts soit 21ha 19a 10ca,
- au Douar Ahl Ghafer : 54 parcelles (dont 21 à la Société Domaniale Algérienne), 52 propriétaires soit 302ha 72a 64ca,
- au Douar Tameksalet : 1 parcelle de 6ha environ à un propriétaire arabe, le reste à la S.D.A, soit 115ha 96a 80ca,
- au total 444ha 88a 54ca. Les terrains sont qualifiés ‘’ terre de culture ‘’ (surtout aux Ahl Bel Ghafer), ‘’broussailles et rochers ‘’ (surtout à Tameksalet), ‘’jardin de figuiers’’ ou ‘’ d’oliviers’’. Les 5/6 des terres sont cédées contre indemnisation, 1/6 par échange.


Les terrains ainsi libérés, on peut appeler les nouveaux occupants. Compte tenu de réserves foncières antérieures ce sont finalement 581ha 51a 21ca qui sont distribués aux 16 nouvelles familles soit 36ha 34a par concession, 1ha et demi de plus qu’en 1898.
La consistance de chacune est analogue à celle de 1898 : un lot à bâtir, un lot de jardin, plusieurs lots de culture répartis de manière à équilibrer les valeurs.
On remarque cependant moins d’homogénéité : ainsi le n° 1 (COLOMBIES) n’a qu’une parcelle de culture de 37ha d’un seul tenant, tandis que le n° 4 (André VASSEROT) en compte huit de moins d’un ha à moins de huit.
La liste originelle des 16 concessionnaires agréés établies en 1905 sera surchargée, dans les six années qui suivent, par autant de noms de remplaçants. Cette liste comptait 10 immigrés et 6 algériens. Huit des immigrés, deux des algériens prennent possession de leur terre dès la fin de 1905 :
- Joseph AILLOUD du Rhône – lot N° 48
- Paul AUROUSSEAU de Paris – lot N° 14
- Pierre et Paul BONNET - lot N° 55
- Daniel GAUDISSARD des Hautes Alpes – lot N° 47
- Prosper CAYLA du Lot – lot N° 23
- Jules MARCOT d’Aîn Sidi Charif près d’Oran – lot N° 5
- Louis TERRAL d’Hennaya mais né dans l’Aveyron – lot N° 56
- André BONNET dans le courant de 1906 – lot N° 46
- Pierre VASSEROT des Hautes Alpes - lot N° 57
- André VASSEROT des Hautes Alpes - lot N° 4

Le temps de prononcer la déchéance des défaillants et s’installent trois remplaçants :
- François ROSTAING d’Aïn Fezza mais né en Savoie en septembre 1906 – lot N° 6
- Joseph SCHWALL de Misserghin en juillet 1907 – lot N° 58
- Charles MARTIN de Savoie, en août 1908.

D’autres remplaçants se dédisant, ce sont de nouveaux désignés qui suivent :
- Sylvain COLOMBIES de Safsaf, mais né dans l’Aveyron en 1909 - lot N° 1
- Désiré MAURIN e juin 1910 tous deux en troisième position, voire en 4éme comme Paul DUMONT DE LA Haute Savoie en mars 1910, sur le lot N° 61
- Quand au lot N° 23 que Prosper CAYLA a pu échanger dès 1905 contre un lot de la première attribution, c’est un 5éme candidat, Louis SALESSE d’Oran, qui en héritera en 1911.
Heureusement, les premiers installés n’ont pas attendu l’arrivée du dernier pour se mettre au travail.


Chapitre X : Le Peuplement Parallèle avant 1914

A la veille de la guerre de1914 Turenne compte environ 700 habitants (438 en 1906, 622 en 1911). Le noyau de colons implantés par l’Etat doit représenter un peu moins de la moitié de ce nombre. En effet les 44 familles installées de 1898 à 1910 comptaient officiellement 236 personnes : 117 adultes, 139 enfants ou adolescents.
Depuis, quelques familles ont quitté le village (BAICHERE, YZOARD, PROSPER CAYLA, AUROUSSEAU, DEROBLES, GAUDISSARD, MARTIN), d’autres sont restées partagées entre Tlemcen ou les villages voisins et Turenne (BARTHE, BEDOIN, DESCAUNET, LAMASSOURE ; MORETY, TERRAL) et il est difficile de savoir combien de membres de ces familles sont comptés d’un côté ou de l’autre. Enfin, Oujda occupée depuis 1907 attire au moins temporairement tout ou partie de quelques familles (FRERET, KRICK-COUVERT). Mais s’il y a eu déperdition, il y a eu aussi accroissement : les plus jeunes ont continué de procréer, les enfants des plus âgés ont créé leurs propres ménages (BARON-COUVERT, KRICK-COUVERT, CHAMBELLAND-TERRAL, TERRAL-CARDONE, Simon LAMASSOURE, etc.) et naissent les enfants de la seconde génération. La natalité l’emporte de loin sur la mortalité : 1 décès, 5 naissances en janvier-août 1906, 15 décès, 35 naissances en 1908.
S’il est raisonnable d’évaluer à 300 environ le nombre d’habitants appartenant à ce noyau originel, il en reste 400 dont on n’a guère parlé jusqu’ici et dont on essaiera d’étudier les origines.
On distinguera :
 Les indigènes musulmans,
 Les pionniers antérieurs à la colonisation officielle,
 Les immigrants français de souche,
 Les immigrants français d’origine israélite indigène
 Les immigrants étrangers ou d’origine étrangère, surtout espagnole.

Les indigènes : En créant un centre de colonisation nouveau, l’Etat escomptait un peuplement français. L’achat des terrains arabes, à l’amiable ou par expropriation, impliquait le retrait de la population indigène, fixe ou mobile, qui y vivait disséminée.
De fait, jusqu’à la Grande Guerre il n’y eut aucune famille arabe dans le village même, quelques-unes seulement sur le territoire communal. Parmi elles, Tahar Ben Mohamed, resté propriétaire de la parcelle 187, au dessus de l’oued Barbata ne serait il pas ce noir, voisin des Lamassoure, qui donna son nom au maléfique ‘’ Trou du Négro ‘’ ? Nous reviendrons dans un chapitre ultérieur sur le reflux de la population indigène dans la commune après la guerre de 1914 – 1918.
Les pionniers non officiels : La construction de la nouvelle route Tlemcen – Marnia (1884-1885) a précédé la fondation du village.
Les premiers plans parcellaires du territoire promis çà la colonisation font apparaître quelques propriétés non arabes sans doute acquises dans les années 1895-1897 :
 Abraham Moudram (ou Abouderrham) : 4 parcelles, près de 32ha (environ 1896), dont une maison en bordure de la route qui sera la plus ancienne du village, habitée dans les années 30 par la famille SANTONCHA.
 Pastor : 4 parcelles, 43ha (environ 1892), dont une maison en bordure de la route de Tlemcen, à mi-chemin entre la future ferme FABRE et le pont sur l’Oued Hafir.
 Emile DUCROS : 3 parcelles, 19ha (environ 1892), dont une maison dans le virage de la route en face de la future ferme FABRE.
 Para : une parcelle de plus de 18ha (environ 1896) en bordure de l’Oued Barbata après le premier virage sur la route de Marnia.
 Nicolas MARCOVICH (1890-1895) : ne possède alors rien sur le territoire communal mais exploite un moulin en territoire indigène au pied de la montagne.
 Augustin GOMEZ (1890-1900) : ne possède rien, mais exploite des charbonnières dans la forêt de Moutas.
 Clovis fournier (environ 1897) : ancien combattant de 1870, entrepreneur et entreprenant, en même temps maçon et aubergiste, indispensable aux particuliers et à l’Administration, se substituant à temps aux tâcherons défaillants, semble avoir été une figure majeure des années de gestation et de naissance du village. A peut être lui-même planté les trois platanes.
 Haîm BENICHOU (1890-1900) : Tlemcénien, lance dès 1890, avec Chaloum DARMON, une liaison par diligence légère entre Tlemcen et Marnia. Il s’installera plus tard au village.

De ces huit pionniers, quatre au moins ont participé au peuplement du nouveau village :
 DUCROS son fils Auguste
 MARCOVICH ses trois fils Victor, Baptiste, Emile
 GOMEZ ses neufs enfants qui fondèrent autant de foyers
 BENICHOU ses 5 enfants.

J’ignore s’il y eut des PASTOR au village, si l’une des familles juives présentes plus tard au village avait un lien avec ABOUDERRHAM et si certains de nos PARRA descendaient de celui de la parcelle N° 199.

Chapitre XI : Le Peuplement Parallèle avant 1914 (suite)


Nous avons vu qu’à coté du noyau de colons implantés par l’Etat vivaient aux abords du village quelques européens arrivés avant eux et quelques indigènes musulmans ou juifs demeurés en dépit des expropriations ou arrivés peu après la création du centre.
D’autres immigrants affluent bientôt et s’installent, les uns temporairement comme les fonctionnaires envoyés par l’Etat ou les inconstants qui ne trouvent jamais ou fixer leur nid, les autres définitivement, apportant soit leur main-d’œuvre polyvalente, soit leur savoir-faire professionnel, soit leur sens du négoce et tous leur persévérance à améliorer leur sort. on m’excusera de les présenter par catégorie ethniques : c’est ainsi que les distinguent les recensements de 1906 ou de 1911. Je n’ai pu malheureusement trouver les chiffres concernant Turenne qui n’était pas encore commune de plein exercice mais seulement ‘’ centre de colonisation ‘’ inclus dans la commune mixte de Sebdou-Aîn-Fezza.
Puis à partir du 1er janvier 1907 (date cueillie dans ‘’ Turenne et sa région ‘’, petite monographie faite en 1957 par Aline LAMASSOURE.) dans celle de Remchi.
Ces deux communes, vastes comme un département métropolitain, contenaient la première, Aîn-Fezza (chef-lieu), Sebdou (poste militaire), Terny, la seconde, Montagnac (chef-lieu), Lavayssière, Turenne, chaque village formant une île alors presque totalement européenne dans un océan indigène parsemé d’autres îlots, fermes européennes entourées de terres fécondes ou ingrate acquises à l’amiable ou par spéculation par des propriétaires souvent restés en ville, et cultivées par des fermiers français ou espagnols.

Voici les chiffres pour 1906 (la population de Turenne est comptée à Sebdou

TLEMCEN

SEBDOU

REMCHI

Français d’origine

3 368

977

776

Juifs devenu français en 1870

1 327

28

22

Enfants des précédents

3 698

62

105

Etrangers naturalisés individuellement

247

24

64

Etrangers devenu français loi 1889

1 099

120

152

Id- mais en suspens

606

39

64

Espagnols

1 256

1 021

253

Italiens

129

3

13

Anglo-Maltais

2

0

0

Autres

157

20

3

Total Européens

11 889

2 294

1 452

Indigènes sujets français

24 710

19 850

31 519

Marocains

750

291

179

Tunisiens

4

0

0

Autres

45

7

0

Total Indigènes

25 509

20 148

31 698

Total Général

37 398

22 442

33 150

Le Peuplement Parallèle avant 1914 (suite)

On remarque que la population dite européenne représente alors moins du tiers à Tlemcen, un peu plus du dixième à Sebdou, moins du vingtième à Remchi.
Mais revenons aux immigrés de Turenne :

LES FRANÇAIS DE SOUCHE : il y a d’abord les fonctionnaires, instituteurs, gendarmes, douaniers, gardes forestiers, postiers. La plupart viennent et repartent.
Rares sont ceux qui ont laissé leurs noms dans les mémoires, des instituteurs surtout (Melle VARGAS, M. et Mme GUENANCIA, Mme LOUSTALOT) parce qu’ils s’adressaient aux enfants et les ont marqués.
Quelques uns cependant s’installent au village après leur retraite, gens à képi surtout, qui semblent jouir d’un droit de préemption sur des lots à bâtir ou à jardiner.
Ainsi dès 1899 apparaissent Mme GEOFFROY, veuve d’un sous officier et qui, tenant un restaurant à Tlemcen ne se montre pas souvent au village, un Pierre PONCEPT, combattant de 1870, adjudant maître-d’armes devenu professeur d’escrime.
En 1904, Julien LEMETAYER, ancien sous-officier de la Smala des Spahis de Bled Chabka (près de Boughrara) construit une maison (la future maison LANGLADE) dans laquelle sa femme ouvrira le premier bureau de poste. Arrivé en 1901 comme garde forestier avec ses quatre enfants, Alexandre DOUSSOT passe sa retraite à créer un beau verger autour de sa maison.
En 1903 s’installent GALLONI et ROSTAGNI, retraités de la gendarmerie, puis en 1909, Charles MARIE, ancien brigadier des douanes. Alcide BONTAZ, jeune gendarme savoyard, arrive en 1912, épouse en 1914 une fille du village, Rosa VINCENT, et ne reviendra au village qu’après la guerre. Emile DULLIN, pittoresque garde champêtre, frère de l’acteur Charles DULLIN et ancien officier, est arrivé en 1912.
Le facteur Julien ALLAUX, arrivé à la veille de la guerre, reviendra après et nous apportera le courrier jusqu’à sa retraite
Parmi les indépendants, on aperçoit Michel CAZAUX qui crée en 1899 un service quotidien de voitures vers Tlemcen.
Il vit maritalement avec Célestine HENRION qui envisage en 1903 d’ouvrir un restaurant avec quelques chambres car ‘’ l’unique auberge…est fort mal tenue par Mme FOURNIER’’, assure l’Administrateur de Sebdou, mais le sous-préfet refuse le lot à bâtir sollicité pour la construction car l’intéressée ne pourrait la réaliser qu’avec les ‘’ fonds du sieur CAZAUX, son amant et non avec ses propres ressources’’ inexistantes.
Le maçon et plombier Apollon LOMBARDO est au village depuis 1902, le maçon Charles GAUTORBE depuis 1905.
La construction du chemin de fer à partir de 1905 et l’occupation d’Oujda en 1907 suscitent une activité fébrile au village. C’est à ce moment que l’on voit apparaître Louis PARRIAUX, conducteur de travaux en 1905, Sylvain COLOMBIES EN 1906 ? Eugène CAZELLE, brigadier poseur, DOLFUS et MERLO entrepreneurs, Victor SEYRES en 1907, Victor BARON, ‘’conducteur à la voie ferrée de l’Ouest Algérien’’, Jean KRICK, entrepreneur, en 1908, Joseph COLIN poseur, en 1910, etc.
De nouveaux cultivateurs arrivent également.
Sylvain FABRE, originaire de l4aveyron, achète en 1911 la propriété de Prosper CAYLA à laquelle s’ajoutera plus tard celle de son parent Edouard MORETY.
Victor GERVAIS, fermier aux Béni-Ouazène (Remchi), achète en 1913 la concession de DEROBLES qui sera cultivé après la guerre par son gendre Paul RIGAILL.
Louis JOLIVET, de Mansourah, achète en 1914, celle de Charles MARTIN.

De tous ces noms cités (et les archives passent sous silence nombres d’autres), seuls les DOUSSOT, BONTAZ, ALLAUX, SEYRES, FABRE, GERVAIS, RIGAILL, JOLIVET faisaient partie de notre petit monde des années 30.

Chapitre XII : Le Peuplement Parallèle avant 1914 (suite)

Les villages blottis autour de leur église que nous montraient les gravures du Lyonnet, notre livre de lecture, nous donnèrent d’abord de la France inconnue l’image d’un pays rural, catholique, paisible. Puis notre science s’étendant, nous apprîmes que parmi ces trente et quelques milles villages, plusieurs centaines conservaient en dépit des guerres et des ostracismes un temple protestant et même, quelques dizaines, en Alsace, une synagogue juive.
Le nôtre, vu des hauteurs de gare, pouvait être pris malgré la rigidité de son quadrillage pour l’un de ces trente mille villages catholiques de France, avec son clocher dépassant des toits et des arbres. En réalité, si les catholiques, Français ou Espagnols d’origine, dominaient, ils n’étaient pas seuls : le village comptait aussi plusieurs familles juives, sans synagogue, un nombre un peu plus grand de familles musulmanes intra-muros avec une discrète mosquée à la lisière du village, et même quelques familles ayant coupé tout lien avec la religion. Tout ce monde se côtoyait ni plus ni moins paisiblement que dans n’importe quel village de France mais quand à savoir si les uns et les autres surent profiter de cet éventail de croyances tellement plus ouvert qu’en métropole pour s’enrichir mutuellement, c’est une autre histoire.

Les Protestants :

Les protestants,avant 1914, sont arrivés dans les deux contingents de colons officiels, deux familles dans le premier (AUROUSSEAU, JOUBERT, 16 personnes au total), six dans le second (BONNET André, BONNET Pierre, JOANIN, SCHWALL, VASSEROT André, VASSEROT Pierre, 35 personnes en tout, chefs de familles, épouses, enfants, domestiques). Les SCHWALL, de lointaine origine rhénane, forment un couple mixte, luthérien catholique, les autres sont calvinistes, originaires du Bourbonnais, du Queyras, ou du Diois.
Bien que minoritaires, ces protestants occupent dans les deux contingents, une place très supérieure à la moyenne nationale : 8 familles sur 44, soit 18 % contre moins de 3 % dans l’ensemble de la France d’alors. Certains bénéficiaient de la solidarité de plus ou moins lointains coreligionnaires comme les JOANIN épaulés par les RUEL de Guiard ou les AUROUSSEAU soutenus par la société de Coligny.

Les Juifs :

Les juifs de TURENNE étaient de vieux Algériens. Voici ce qu’écrit, e 1954, un notable juif de Tlemcen :
à Les origines des communautés juive en Afrique du Nord remontent à la plus haute antiquité. Leur présence a été constatée en certaines régions plus de dix siècles avant Jésus Christ… Installés à l’origine sur le littoral, les juifs ne tardèrent pas à pénétrer à l’intérieur du continent. Tlemcen ne pouvait manquer d’attirer ces commerçants hardis qui assuraient la liaison avec les autres régions de l’Afrique, de l’Europe, de l’Asie….La présence des juifs à Tlemcen en 1307 est confirmée par Ibn Khaldoun… Jusqu’en 1393, les juifs ne purent résider dans la ville. A cette date ils furent autorisés à vivre à l’intérieur de la cité grâce aux mérites acquis par le Rabbin Ephraîm Enkaoua, fondateur de la communauté…. Ayant vécu pendant plusieurs siècles au contact de la population musulmane, les juifs Tlemcénien avaient adopté la langue et certaines mœurs de cette population…Le décret CREMIEUX (1870) éleva les juifs Algériens à la dignité de citoyens Français… Depuis l’arrivée des Français les mœurs ont évolué. La langue française est parlée couramment dans toutes les familles concurremment avec la langue arabe à laquelle les juifs Tlemcéniens restent très attachés…Le costume indigène par contre a été abandonné.. L’assimilation a été tellement rapide que dans certaines familles le visiteur européen a le sentiment d’être reçu dans une famille métropolitaine… Cette assimilation n’a nullement porté atteinte à l’unité spirituelle du Judaïsme local…
Bâtonnier Marcel GHOZI ‘’ Tlemcen et sa région ‘’ (Collection Richesses de France, 1er semestre 1954.à


Parmi ceux de Turenne, lesquels venaient de Tlemcen, lesquels de l’un des villages berbères (q’baîl) de la haute Tafna, lesquels du lointain Sahara ? Eux seuls sauraient le dire. Nous avons déjà rencontré Aboudraham, propriétaire et prêteur sur gages et Haîm Bénichou père, transporteur, présents dans les parages avant même la création du village.
Fredja LEVY arrive vers 1910. Henri ROSTAING en garde un souvenir précis : portant le costume traditionnel, ‘’ il tenait son magasin là ou se trouvera plus tard le café maure ZEROUKI. Il est le père de tous les autres LEVY : Eliaou (le futur bourrelier), Mimoun (le futur épicier), Youda (le futur facteur), Mardochée (Madou, l’aide bourrelier d’Eliaou ? )et une fille.
La famille TOUATI (sans parenté avec les TOUATI et LEBAHR arrivés plus tard) est aussi ancienne. Leur épicerie a été tenue ensuite par le gendre LABBOUZ’’.
Un certain CHOUKROUN Albert (ou DECHOUKROUN, ou SCHOUKROUN, selon le document) de Tlemcen a racheté en 1902 et 1906 deux lots urbains à leurs détenteurs, la Veuve GEOFFROY et GALLONI, ainsi qu’une maison à l’un des VINCENT, sans doute dans un but spéculatif car il ne semble pas qu’il ait jamais habité le village. Les emplacements seront plus tard occupés par la seconde épicerie LEVY Mimoun (lot 49), par le bazar LABBOUZ Simon (lot 54) et la cordonnerie TOUATI (partie du lot 50).
Rappelons enfin que vers 1908 – 1910, les deux instituteurs sont M. te Mme GUENANCIA.
On doit pouvoir évaluer à une trentaine de personnes la population israélite à la veille de la Grand Guerre.

Sources : aux notes prises aux Archives d’Outre Mer à Aix en Provence, s’ajoutent les souvenirs confiés par Henri ROSTAING.


Chapitre XIII : Le Peuplement avant 1914 (suite)

Les Espagnols

Quelques familles espagnoles, rappelons le, étaient présentes aux abords du site de Turenne dès avant sa création : celle d’Augustin GOMEZ qui exploitait des charbonnières dans la forêt de PASTOR et de PARRA qui possédaient des terres, le premier à l’est du futur village, vers Tlemcen, sur l’Oued Hafir, l’autre à l’ouest, vers Marnia, sur l’Oued Barbata ; et un certain FRASQUITO qu’on ne connaît que pour avoir été cité avec les deux précédents dans une requête d’Aboudraham.
On trouve une allusion à PARRA dans l’Echo d’Oran du 17 juillet 1894.
On y relate une rixe, au douar des Ahl Belghafer, commune mixte de Sebdou, entre des indigènes s’accusant mutuellement ‘’ d’un vol de grains commis au préjudice d’un espagnol demeurant au lieu-dit Barbata.
On peut aussi citer deux entrepreneurs qui ne s’installèrent pas au village mais contribuèrent à sa naissance : LORENZO qui enleva en 1895 l’adjudication des travaux d’infrastructure ; ORTOLA qui, écarté en 1895 au profit de LORENZO, et en 1902, pour l’entourage du cimetière, à celui d’un certain ABADIE, dut se contenter de construire pour les particuliers.
Comparé à ces propriétaires ou ces entrepreneurs, à l’aise ou riches, les nouveaux arrivants sont bien démunis.
Comme étrangers, ils ne peuvent prétendre à une concession.
Ils n’ont que leurs bras à louer, aux concessionnaires, pour le défrichement, aux entrepreneurs ou aux artisans pour d’autres travaux aussi pénibles.
Comme pour les colons (avec cette différence qu’ils n’ont pas 36ha au départ), l’acharnement au travail, le savoir faire, l’astuce, la santé, la chance, parfois la possession d’un petit capital aideront les uns à subsister voire à réussir ou au contraire l’absence de tels ou tels de ces facteurs en maintiendra d’autres dans la pauvreté ou les fera disparaître.
Certains tiendront bientôt des propriétés à ferme ou à mi-fruit en attendant de devenir propriétaires à leur tour, d’autres s’installeront comme artisans à leur compte.
Nous ne pourrons les montrer tous mais seulement ceux qui ont laissé leurs traces soit dans la mémoire de descendants disposés à dire leurs souvenirs, soit dans les archives de l’Etat, soit dans la presse.
Parmi les premiers, on aperçoit Frédérico FERNANDEZ ou RODRIGUEZ, le père Frédérico arrivé via le Maroc en 1904, ainsi qu’un autre RODRIGUEZ, forgeron, le père de Ginès, Antoine, Jules et Lucien, qui a peut être travaillé d’abord pour DESCAUNET avant d’ouvrir sa propre forge.
En attendant de former ses propres fils à son métier, il emploie un vieil ouvrier espagnol et un jeune apprenti français dont nous avons déjà fait connaissance.
Marie ALARCON (Me MARTINEZ) pense que ses parents sont arrivés vers 1907 puisque (son) frère Auguste était né à Turenne mais (leurs) deux sœurs aînées aux Trembles. Moi je suis née à la Ferme Delphin Fréret ou mes parents travaillaient.
Dans un rapport daté du 30 août 1906 sur le peuplement du village, l’administrateur de la commune mixte de Remchi compte dans la main-d’œuvre d’origine espagnole travaillant à Turenne : 7 maçons, 7 journaliers, 2 ouvriers alfatiers, 10 ouvriers défricheurs, 3 ouvriers chaufourniers, 4 ouvriers carriers.
Il ajoute : ‘’A certaines saisons des équipes de défricheurs marocains et espagnols prennent des terres à défricher à la tâche. Les salaires moyens sont de 2.50 F par jour’’.
Il n’est pas exclu que tel ou tel patron de ces ouvriers soit également espagnol. Essayons, au fil des années de surprendre quelques uns de ces travailleurs dans ces pittoresques instantanés fixés par les Archives.
Ils ne sont malheureusement pas toujours nommés mais quelques lecteurs reconnaîtront peut être leur père ou leur grand père dans tel anonyme.
En 1906, GAUDISSARD, a abandonné sa concession à des espagnols à condition qu’ils la mettent en valeur
En 1908, Bartolo SEMPEREZ, maçon, à Turenne depuis trois ans, déjà français puisque né à Oran, obtient l’octroi d’un lot à bâtir et d’un lot de jardin.
En 1908 encore, Charles MARTIN présente une quittance de 1 213 F de ‘’ MARTINEZ Auguste, entrepreneur de défrichement (récemment décédé Wink pour travaux sur la concession de MARTIN et fourniture de pierre et de sable’’. Puis en août 1909, il paie 5 069 F à Louis ROBLES, entrepreneur de maçonnerie, pour ‘’ maison et écurie, porcherie, clapier, basse-cour et atelier ‘’ sur son lot N° 3’’.
En 1911, Louis SALESSE ‘’ maréchal ferrant loue sa concession à mi-fruit à un espagnol’’.

L’administrateur de Remchi certifie le 6 avril 1912 que la Veuve de Pierre Paul BONNET loue sa concession à Andréo FRANCISCO par ‘’ convention verbale à mi-fruit et sous condition de défrichement partiel annuel ‘’.
Début 1912, AUROUSSEAU, malade, ‘’ à loué à un espagnol nommé de FUENTES’’.
Le garde champêtre DULLIN constate le 14 avril 1913 que Cristobal Dey REY, au service de VIDAL François, labourait la parcelle (N° 149) revendiquée par VASSEROT Pierre ‘’.
Si nous empiétons sur la guerre, nous voyons en 1915 la Veuve de Joseph SCWALL ‘’ ayant loué sa concession à Francisco LOZANO, originaire de Sorbas, Province d’Almeria. Celui-ci bénéficie de tous les fruits sous condition de défrichement ‘’.
En 1916, Joseph MARTINEZ, surveillant de travaux sur le chantier de chemin de fer de Tlemcen à Béni-Saf, dont ‘’ le fils unique a disparu à la bataille de la Marne ‘’ sollicite un lot à bâtir au village.
En 1917, ses gendres étant mobilisés, la Veuve de Louis TERRAL (elle-même née en Espagne), ‘’ a donné (son) lot a exploiter à un espagnol de la région… Cet espagnol étant décédé, le contrat a été repris dans les mêmes termes - cession pendant quatre ans avec reddition à l’expiration entièrement défriché - à TORRES Bernard , de Turenne’’