souvenir

Pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village

vendredi 1 février 2008

récit de Paul MARTINEZ , arrivé à Turenne en 1938


En septembre 1938 ,nous quittions Arzew pour Turenne : un gentil petit vllage, haut perché dans L’Atlas,entre Tlemcen et Oujda .Son climat sec et rigoureux devait mettre fin aux rhumatismes de mémé Jeanne
 

Le chemin de fer nous y emmena à travers plusieurs tunnels, d’où nous sortîmes enfumés comme les harengs de la rue des juifs ; pour nous achever, quelques viaducs nous donnèrent le vertige et la nausée. Après Tlemcen , la locomotive mit les" bouffées " doubles jusqu’à Zelboun . Son tintamarre d’essieux de grincements , de sifflets, de ouf ouf ouf ricochait dans la vallée comme pour signaler à monsieur Cassé que le train était à l’heure, qu’il pouvait tourner les aiguillages et ouvrir la voie. La forêt de chênes lièges disparue un moment dans le panache blanc de la locomotive et elle s’assoupit dans les ombres bleues qui montaient de la vallée.

Le convoi dévala ensuite vers notre destination. A vingt heure cinq minutes nous débarquions sur le quai déserté ; seuls le chef de gare, ses deux chiens et Mohan nous attendaient.


Monsieur Cassé était un homme d’une cinquantaine d’années , grisonnant, le teint rose, la moustache d’un autre temps, la casquette à coiffe blanche ramenée sur le front .Il balança la lanterne ,et donna le signal du départ d’une rafale de sifflet : le train repartit à brides abattues vers Médjaed nous abandonnant à l’ air frais du soir et au silence de la nuit .L’accueil fut chaleureux , les chiens firent des fêtes aux enfants à grands coups de queue.
 

Mohan , le préposé aux marchandises, emmena sur un chariot à quatre roues les colis qui devaient nous permettre de survivre en attendant le déménagement. Monsieur Cassé et pépé Camille procédèrent à un inventaire rapide des affaires qu’ils déposèrent dans la « halle » aux bagages près de la lampisterie. Madame Cassé nous servit une grosse soupe à l’oignon et du confit de sanglier .La journée avait été longue depuis le départ d’Arzew, enfin on nous coucha sur des lits de fortune dont nous primes possession sans nous faire bercer.
 

Le surlendemain, dès la première heure de la matinée, un train de marchandises décrocha un wagon couvert destiné à huit chevaux ou quarante hommes. Exceptionnellement il transportait notre déménagement.
 

Pendant la manœuvre, pépé Camille vérifiait déjà les plombs et les ligatures. Ce n’était pas le même wagon qui avait quitté Arzew : il était plus grand, plus impressionnant ; mon père nous nous expliqua qu’il y avait eu un transbordement à Perrégaux pour passer de la voie étroite à la voie large. Les ligatures furent coupées avec la grande cisaille rouge qu’on nous interdisait de toucher parce qu’on aurait pu se blesser.
Pépé Camille organisa le transfert du mobilier : il loua un camion à bête tiré par un vieux cheval blanc et gris qui sentait l’écurie à quinze mètres. Il pissait par un gros appendice qui sortait entre ses pattes de derrière.Ildevait faire des allées et venues conduit par un grand Marocain aussi maigre que son canasson et qui flottait dans son grand sarouel délavé. Le conducteur s’exprima en espagnol quand il s’aperçu que mon père s’appelait Martinez et ne fut pas long à expliquer dans la langue de Cervantès qu’il était né du coté de Mélia au Maroc espagnol. ..
 

Après une dizaine de voyages de la gare au village en passant par l’allée des noyers, le wagon fut vidé de nos objets familiers que nous voyions défiler dans des situations périlleuses. Le camion craquait, pliait, gémissait sous la charge. Au départ il fallait aider le cheval à se mettre en route, ensuite, c’était le camion qui poussait le quadrupède, alors, le marocain était obligé de serrer la mécanique : de freiner. Je l’accompagnais à chaque voyage, perché à coté de lui, cramponné au siège qui oscillait sous les branches de noyers qu’on évitait en baissant la tête. C’est à partir de ces émotions que je compris que trois déménagements valent un incendie.
 

Pendant ce temps, mon père remontait les lits et les armoires, ma mère rangeait sa cuisine avec Jeannine dans ses jupes et Raymond gardait le wagon qui restait ouvert.
Notre aîné ne perdit pas un instant : il trouva le temps de lier amitié avec Rémy, le fils unique des docks, un garçon de notre âge, tout blond qui voyait en nous de futurs copains ; lis eurent même l’occasion de décocher quelques pierres à un vol de pigeons qui venaient se nourrir autour des silos à grains.
Mohan, le préposé aux bagages, était en fait la petite main de monsieur Cassé. Il était vêtu comme un Roumi, excepté pour la coiffure : il portait un turban comme les maharadjas indiens ; pour le reste, il s’habillait avec le linge que Bernard cassé ne voulait plus. La famille Cassé était une véritable aubaine pour Mohan : contre de petits coups de mains, il avait toujours un plat chaud de nourriture, des vêtements, et l’autorisation de dormir dans la lampisterie où l’hiver, le poêle des chemins de fer dispensait jour et nuit ses calories.
 

En fait, les trois employés : le chef, l’intérimaire, le facteur, utilisait la petite main c’est ainsi que monsieur Cassé décida que Mohan porterait la panière matin et soir afin de ravitailler l’intérimaire : au train de onze et de treize heures.
 

L’intérim consistait à remplacer l’unique employé des gares voisines : Aïn- féza, Médjahed, Mansourah, Zelboun, Zoudje-Brel. La panière contenait les repas de l’intérimaire à l’aller et n’était pas toujours vide au retour : suivant les saisons, elle revenait chargée de fruits : cerises, noix, pêches, figues, abricots, prunes, ou de gibiers : grives, lièvre, perdreaux.
 

Le troisième employé , le facteur, était le fils de madame Jacqueneau son frère cadet était au séminaire à Oran ; la maman occupait la cure qui n’avait jamais hébergé de curé ; l’évêché n’avait pas jugé bon d’affecter un prêtre au village à temps plein et c’est l’abbé François de Marnia qui le dimanche disait la messe de huit heure à Médjahed , de neuf heure trente à Turenne , de onze heure à Marnia : un vrai marathon ; tout cela avec un triporteur qui pétaradait dans la cote de Barbata. Ces pétarades étaient le signal pour donner le troisième coup de la grosse cloche qui signifiait aux paroissiens que la messe allait commencer.
 

C’est Raymonde Cassé qui dévoila à ma mère les principaux aspects de la vie spirituelle du village. Elle était bien placée pour la renseigner : elle tenait l’harmonium à toutes les occasions. Elle était fine et très belle ; elle rivalisait dans mes appréciations avec la statue de Jeanne D’Arc que je ne trouvais pas assez féminine dans son accoutrement guerrier. Elle se maquillait avec raffinement et faisait très distinguée. Après coup je l’aurais bien vue dans le rôle de blanche neige. Le fils du maire ne s’y trompa pas quand il l’épousa quelques années plus tard. En attendant Raymonde ne perdit de temps : elle recruta deux enfants de cœur pour l’abbé François et deux élèves pour le catéchisme de Georgette Barthe.

Le blog de Paul MARTINEZ: 
http://polosouvenirsdelaba.blogspot.com/

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